Le texte théâtral francophone en classe de FLE: Quels Enjeux?

 

KASMI HAFIDA - Doctorante  

Université Kasdi Merbah  Ouargla

 

 

Approche théâtrale en FLE :

Le théâtre « est l'art de produire des émotions par le rapport actif aux paroles d'une œuvre mise en situation »[1] c'est par cette notion de "paroles" et par cette idée de mise en situations" qu'il croise la pédagogie du FLE. Pendant le cours de langue étrangère, l'apprenant reçoit un bagage linguistique censé lui permettre de communiquer dans cette langue étrangère, mais il a rarement l'occasion de mettre en pratique ses acquis en dehors des moments consacrés à l'expression orale. Nous pouvons dire que le théâtre peut être source d'apports considérables dans un cours de langue étrangère puisqu'il est basé sur l'échange des paroles en situations et non pas sur un savoir passif de la langue. La compétence orale bénéficie particulièrement du travail effectué en classe par les apprenants; cela implique dans la majeure partie des cas un travail de groupe.

Ce travail ne parait pas évident et spontané. Au contraire il nécessite une mise à part des réflexions didactiques permettant d'exploiter le théâtre au profit d'un apprentissage du FLE : une pédagogie langagière tire de la pratique théâtrale son objectif communicatif.

Nombreux sont ceux qui ont travaillé récemment sur l'approche théâtrale en FLE. Gisèle Pierra, par exemple, son souci porte sur les pistes et les informations possibles les plus riches sur les textes. Ceci pour permettre à un enseignant d'utiliser à bon escient les ressources que peut apporter le théâtre dans l'enseignement d'une langue étrangère.

En fait, selon G. Pierra, la pratique théâtral est une création esthétique qui  peut servir à l'enseignement/ apprentissage du FLE; sans que le produit littéraire perde sa théâtralité ou bien son existence. Ces propos nous jettent dans une autre dimension du texte, du fait qu'il est francophone ou non, afin de mettre l'accent sur l'apprenant et les modalités de l'apprentissage du FLE.

 

Le texte théâtral francophone en classe de FLE: Quels enjeux?

Le fait de citer l'adjectif francophone parait un peu problématique, parce que ne nous voulons pas entrer dans l'historique de la francophonie et ses considérations, nous avons l'intention seulement d'aborder la littérature comme un "espace privilégié où peuvent s'exprimer des identités culturelles spécifiques"[2].

Selon Claire Riffard[3], le raisonnement dans le domaine des études francophones se fait davantage en termes d'espace que d'histoire. Pour ce faire, Jean-Pierre Cuq a abordé dans son Dictionnaire de Didactique du Français Langue Etrangère et Seconde, l'impact que pouvait avoir la pratique théâtrale sur l'enseignement/ apprentissage des langues étrangères:

«Le théâtre dans la classe de FLE offre les avantages classiques du théâtre en langue maternelle: apprentissage et mémorisation d'un texte, travail de l'élocution, de la diction, de la prononciation, expression des sentiments ou d'états par le corps et par le jeu de la relation, expérience de la scène et du public, expérience du groupe et écoute des partenaires, approche de la problématique: acteur/personnage, être/paraître, masque/rôle.» (Jean-Pierre-Cuq, 2003, p.237)

Il dira aussi du théâtre "qu'il offre comme avantages supplémentaires de faire découvrir une culture à travers l'étude de théâtre francophone de mettre en scène et donc de jouer des personnages insérés dans des univers francophones"

(Cuq, 2003,237)

Pour lui, le théâtre peut être l'outil de l'acquisition de certaines compétences linguistiques, culturelles et interculturelles, pour la simple raison que cet outil [texte théâtral francophone] s'empare des autres textes de trois caractéristiques:1) la langue d'écriture qui semble être l'une des opacités de certains textes francophones parce que les écrivains pratiquent ce qu'on appelle le métissage de la langue. 2) le référent qui touche certaines réalités géographiques, sociales et historiques. 3) la thématique; celui de  l'exil, de l'identité, du voyage, du retour au pays, de la guerre, de la découverte de l'autre…etc.

En effet, le texte théâtral présente un apport à l'apprentissage: linguistique du français (vocabulaire, syntaxe et stylistique); il offre aussi d'inépuisables ressources susceptibles d'enrichir l'enseignement et l'acquisition de cette langue. Pour certains, il a permis de se débloquer dans l'apprentissage, de trouver une place au sein de la classe, malgré certaines difficultés d'expression; pour d'autres, il a permis de mieux comprendre leur propre environnement et de mieux vivre les différences culturelles.

Méthodologie: déroulement de l'expérience

Texte théâtral en classe de FLE:

Comme tout support didactique, le texte théâtral peut donner accès à « l’appropriation de la langue »[4]. Sa structure permet d’exploiter les composantes de la langue à bon escient par l’intermédiaire de la lecture à haute voix.

En effet, les apprenants sont habitués à la lecture de textes narratifs, et cherchent le plus souvent, à adopter la posture de lecteur correspondant à ce genre de discours, quelque soit le texte qu’ils ont sous les yeux. Or, le texte de théâtre les déroute parce qu’il n’y a pas de narrateur et qu’il y a des didascalies. Les lire coupent l’élan et par là-même la bonne compréhension du dialogue, ne pas les lire en gêne la compréhension dans la mesure où certains jeux de scène sont indispensables à cette bonne compréhension.

D’ailleurs, nous avons déjà effectué cette expérience avec les élèves, et pour que chacun joue son rôle convenablement c’est-à-dire associé aux gestes, ils nous demandent l’explication du texte de la scène, phrase par phrase et mot par mot.

A cet égard, nous adaptons une progression linéaire sous forme de séances qui amènent les élèves à lire différemment un texte de théâtre et dans le but que nous visons à atteindre.

Cette progression est vue comme piste d’exploitation permettant aux élèves de visualiser ce qu’ils lisent.

En fait, les séances sont différentes et variées, nous nous intéressons dans cette section à celle qui a une relation avec le texte ; le travail sera établi en séances comme la pièce en acte :

 

Séance 1 : à dominante écriture

Cette séance n’est qu’une introduction au monde dramatique ; un moment de réflexion qui n’est pas évalué par une note chiffrée. C’est un outil de travail pour l’enseignant par lequel il essaye de faire émerger les représentations à travers l’écrit.

On demande à chaque apprenant ce que le théâtre représente pour lui en leur donnant un début de phrase afin de les influencer le moins possible, il devient encore plus soucieux quand on le couple avec la remise d’un devoir.

A ce moment, la classe devient un atelier d’écriture que l’enseignant doit prendre en considération, afin de connaître le niveau de ses apprenants à l’écrit et le traiter après par des remèdes efficaces.

 

Séance 2 : à dominante oral

Après avoir découvert leurs compétences à l’écrit, il est temps de dévoiler leurs connaissances pour enrichir le lexique.

Cet exercice permet de prendre en considération le « déjà- là » des élèves. On écrit le mot théâtre sur le tableau et on invite les élèves à donner tous les mots ou expressions qui leur viennent à l’esprit en rapport avec ce mot. L’enseignant distribue la parole, écrit les mots au tableau sans aucun classement et sans aucun commentaire. Dans le deuxième temps, en général, les élèves sont invités à demander des éclaircissements sur la présence d’un terme ; ils se demandent sur le choix du terme et demandent leur sens à ses camarades. Une interaction s’installe dans la classe, les apprenants font coûte que coûte pour montrer leurs compétences langagières en plus, pour défendre leurs points de vue vis à vis du théâtre.

Séance 3 : à dominante vocabulaire

On distribue le texte théâtral ou bien on mentionne la scène sur laquelle nous voulons travailler. Les apprenants lisent silencieusement le texte; on leur demande de souligner les mots difficiles que l’enseignant expliquent après une lecture qu’on appelle idéale de sa part; il précède à une analyse simple d’un texte littéraire tout en mettant le point sur la polysémie du mot théâtre.

Cette séance permet d’enrichir le lexique et de comprendre quelques vocabulaires qui sons spécifiques au texte théâtral.

Séance4 : à dominante orthographe

Les apprenants ont entre les mains le même texte; mais cette fois-ci nous voulons réutiliser le vocabulaire nouvellement acquis.

Le texte se transforme en un texte à « trous » après avoir effacé quelques mots. On leur demande de le compléter sous la dictée.

De ce fait, il y a une imprégnation qui s’est faite, qui leur permet de commettre peu d’erreurs et d’avoir leur attention à porter sur les accords. On peut envisager également de leur demander de mémoriser ces mots avant de faire cet exercice dans le cas d’une classe faible en orthographe.

 En somme, ce sont les grands axes qu’on put exploiter d’un texte théâtral, à cet égard, le champ est très vaste en ce qui concerne les jeux sur les règles grammaticales, la conjugaison...etc.

Techniques théâtrales et acquisition du FLE :

Les méthodologies du FLE sont diverses. Nous essayons de mettre le point sur l’expérience de la pratique théâtrale vue par G .Pierra comme possible outil de didactique du FLE.

Nous avons cité précédemment, comment le texte théâtral peut être exploité et bénéfique pour l’apprentissage du FLE. Ainsi donc ne pouvons nous pas insister sur le fait qu' énumérer les compétences des lecteurs ne suffit pas mais qu’on doit leurs faire prendre conscience de la nécessité de la représentation.

Le fait de démontrer la spécificité de chaque art (l’art textuel et l’art de la représentation) suppose un investissement tant physique que mental de la part de l’apprenant. Comme il nécessite une disponibilité totale et un caractère de bienveillance de l’enseignant : « Pour créer une atmosphère où les apprenants se sentent  à l’aise, il faut que l’enseignant soit chaleureux, sensible, tolérant, patient et flexible ; qu’il inspire la confiance, le respect de soi et des autres et un sentiment d’acceptation ; qu’il ait une personnalité forte et soit une source de stabilité ; comme on le voit, il s’agit de traits de caractère que l’on souhaiterait trouver chez tous les enseignants »[5] .

En d’autres termes, la pratique théâtrale ne va pas de soi. Elle met en exergue toute une méthodologie, susceptible de servir l’intérêt de l’enseignant et de l’apprenant en même temps. Cette méthodologie englobe plusieurs techniques. Et puisque, nous ne pouvons pas les exposer toutes, nous prenons deux qui sont à notre avis principales et qui peuvent réunir les autres techniques.

Dans le cadre de la communication, l’implication de la personne est entière, dans sa complexité physique et psychologique et dans la langue qu’elle parle. Celui qui parle doit concevoir la langue comme un tout. Elle est sonorité, rythme mais aussi regards, gestes, silence, élans, émotions, jeu et créativité.

Nous pensons en effet donc que c’est le théâtre et la répétition d’une pièce qui peut procurer tout cela à travers deux techniques qui sont l’échauffement verbal et l’improvisation.

Ces deux phases complémentaires (échauffement verbal et improvisions) constituent vraiment l’objectif de toute pratique théâtrale.

L’échauffement dit verbale, se fait à l’instar d’une répétition théâtrale. Il répond toujours à un objectif linguistique précis : on travaille sur le rythme et la prononciation ; sur la conjugaison ou sur les réflexes de la répartie.

Cet échauffement se pratique en groupe, debout et en cercle pour faire semblant qu’il s’agit d’une scène où il y a des acteurs qui s’entraînent. L’enseignant annonce le commencement de l’activité; il doit intervenir si nécessaire. Son rôle apparaît quand il   fait travailler les gestes avec la parole. Il insiste sur les gestes et la physionomie qui accompagnent la parole. Cette technique peut être appliquée même en dehors d’une pièce théâtrale, par exemple dans l’apprentissage des phrases complexes ou pour faire l’intonation des différentes phrases interrogatives, exclamatives…etc.

La gestuelle peut être une solution dans le cas d’un blocage devant une lecture correcte d’une phrase interrogative.

N’importe quel stéréotype de l’oral, peut être travaillé de cette manière afin de surmonter l’appréhension de « faire des fautes ».

La technique de l’improvisation est un exercice qui vient en deuxième lieu ; ce moment de jeu et de détente est aussi un outil pédagogique efficace qui renforce ce que nous avons dit à propos de l’échauffement verbale ; il s’agit d’entrer dans « l’acte de parler » avec plus d’assurance.

C’est un travail sur l’aisance et l’assurance dans l’expression, c’est la raison pour laquelle l’enseignant se charge d’expliquer aux apprenants de garder en tête qu’on improvise pour pratiquer la langue et non pas pour faire une performance d’acteur ; c’est-à-dire, l’aisance a pour objectif la pratique de la langue et non pas la construction d’une performance d’acteur.

A cet égard, l’apprenant entre dans le jeu à l’improviste « il ne dit pas de quoi il parle, il parle .il ne sur joue pas, il joue .il n’illustre pas une situation, il la réalise ».[6]

Dans cette perspective, le premier avantage de l’improvisation consiste à libérer l’apprenant de ses réticences à s’exprimer, à jouer avec sa voix et son corps.

Le deuxième avantage c’est d’explorer ses lacunes et les combler.

En somme, ce sont les grands axes de la pratique orale et théâtrale qui traitent principalement les frustrations d’un apprenant dont les possibilités langagières sont réduites. L’Apprenant s’habitue à prendre le risque de parler, prend progressivement confiance en lui-même ; afin de s’exprimer totalement en langue étrangère et de progresser finalement dans son acquisition.

 

Conclusion:

 A l’issue de cette recherche et au cours de l’expérience pédagogique, nous sommes arrivés à donner des constats qui sont relatifs à l’exploitation du théâtre francophone en classe du FLE

Le premier constat doit se faire sur l’enseignant, son rôle est vu comme essentiel dans le processus d’apprentissage. Il doit prévoir dès le départ, l’objectif de ses soucis pour susciter préalablement l’éveil et l’attention chez l’apprenant sur l’objet d’étude. Pour ce faire, l’enseignant doit donc mettre les conditions favorisant l’apprentissage.

Le deuxième constat se fait sur notre objet d’étude qui est l’apprenant face à l’apprentissage de l’oral en FLE. Suite à la représentation de la scène, les apprenants éprouvent du plaisir lorsqu’ils réussissent un exercice difficile et quand ils aperçoivent leur progression et leur acquisition de nouveaux savoirs et /ou savoir faire.

Ensuite, grâce aux techniques proposées par l’approche théâtrale, l’apprenant pourra bien dépasser certaines difficultés qui font face à l’apprentissage du FLE, nous citons par exemple la fluidité de l’expression qui provient de la confiance en soi.

Finalement, le dernier constat se fait sur le medium et son impact sur l'enseignement/apprentissage du FLE, choisir une séquence ou un act d'une pièce de théâtre francophone  mène l'apprenant à planger dans les attitudes de son environnement et de mieux comprendre sa vie et sa société ainsi que la vie des autres et leurs mode vie. Donc ,nous pouvons dire que la pratique théâtrale selon un context bien précis collabore non seulement à developer les compétences linguistiques mais aussi et surtout celles qui sont non- linguistiques comme la culture et l'interculturel. 

 

 

Bibliographie:

1) PIERRA.G, Pratique théâtrale et didactique du français langue étrangère, in Travaux Didactique du FLE, n°36, Monpellier III , 1996.

2) BERTHELOT.R, Littératures francophones en classe de FLE, l'Harmattan, Paris, 2011.

3) BOGAARDS.P. « Aptitude et affectivité dans l’apprentissage des langues étrangères » ,Col,LAL,Crédif,Hatier/Didier,Paris,1991.

4) PRUNNER .M, L’analyse du texte de théâtre, Nathan, Paris, 2003.

5) THEURET.F, Le texte de théâtre, Hachette, Paris 2003.

 6) Le Français dans le monde, La didactique au quotidien, juillet, 1995, Hachette, Edicef.

7) CUQ.J.P, Dictionnaire de Didactique du français langue étrangère et seconde, CLE internatinal,Paris, 2003.

 


[1] PIERRA.G, Pratique théâtrale et didactique du français langue étrangère, in Travaux Didactique du FLE, n°36, Monpellier III, 1996, p.31.

[2] BERTHELOT.R, Littératures francophones en classe de FLE, l'Harmattan, Paris, 2011, p.26.

[3]  IBID. p.26.

[4] PRIEUR.J.M, in Travaux Didactiques, Op. Cit.p173.

[5] P. Bogaards, « Aptitude et affectivité dans l’apprentissage des langues étrangères » ,Col,LAL,Crédif,Hatier/Didier,Paris,1991,p11 

[6] THIEBAUT.N, in Travaux Didactiques, Op.Cit.p213.

 

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