L’enseignement/apprentissage du français en Algérie dans le prisme de la dimension multiculturelle de l’identité nationale : quels arguments pour les statut et rôle pour l’enseignement du français en Algérie ?
Aomar Abdelaoui
Université de Dijel
« Vous avez dit langue étrangère, le français en Algérie ? ». C’est dans cette interrogation que titre Yacine Derradji[1] un article dans lequel il aborde – statistiques confirmées à l’appui – le phénomène de la cohabitation « naturelle » de la langue française avec les autres langues parlées, dans différents secteurs de la vie quotidienne des algériens.
L’histoire de cette cohabitation de la langue de Molière avec les langues en pratique en Algérie, remonte à bien des années. L’environnement sociolinguistique de l’Algérie est peint d’une couleur française, dès l’aube de la colonisation du pays en 1830. Depuis, c’est un véritable rapport de force qui s’installe entre « la langue de l’intrus » et « celle de la couche autochtone » – intronisée, des centaines d’années avant cela, par le mouvement des invasions arabes du nord de l’Afrique, en vertu d’une légitimité sacrée que lui confère le privilège d’être « la langue du Coran », livre sacré de la religion musulmane – en l’occurrence, la langue arabe.
L’Algérie d’aujourd’hui peut se targuer d’être un pays à forte diversité culturelle et linguistique. Dans un contexte de mondialisation grandissante où toutes les frontières entre les langues et les cultures, tendent à s’effacer, la diversité linguistique constitue pour tous les pays, un atout de taille devant les grands défis auxquels ils font face. La langue étant le canal le plus sûr pour véhiculer les valeurs culturelles et les savoirs, tous les pays du monde s’orientent vers l’encouragement de l’enseignement des langues étrangères. Les systèmes d’enseignement se mettent à « la mode du multilinguisme ». L’Algérie, à l’instar des autres pays du monde est invitée à se mettre sur les rails de la mondialisation et la diversité linguistique qu’elle affiche est un atout pour prendre part à cette mutation irréversible.
Il vient à l’esprit l’idée que l’étude de la situation sociolinguistique de l’Algérie, sous quelque aspect qui soit, peut s’avérer d’une grande importance si l’on se met à chercher ses particularités dans un champ réservé, clos, pour ne pas dire « interdit d’accès ». Ce champ comporte les lois qui ont – et elles continuent toujours de le faire – dessiné les tout premiers repères sociolinguistiques du pays et placé les fondements d’un processus qui a orienté celui-ci sur les rails d’une politique linguistique « allergique » à la diversité, « fermée » face à l’ouverture.
Une ouverture qui s’est offerte d’elle-même à ce pays, à travers les grands axes de son Histoire[2], et qui abrite une situation de diversité linguistique que d’autres pays cherchent à « se fabriquer » en déboursant des sommes faramineuses pour encourager et consolider l’enseignement des langues étrangères. L’idée serait – avons-nous pensé – plus intéressante de nous attaquer à l’un des domaines « touché » par les recommandations de ces lois en question, et qui reste le lieu où cette cohabitation prend vie et se développe ; ce domaine est bien celui de l’enseignement. Notre intérêt a donc versé sur des discours ayant trait à la place et au rôle accordés à la langue française dans le système éducatif algérien.
Ce présent travail, imprégné de toute la modestie possible, peut se targuer de vouloir tenter une entreprise de recherche, à notre sens, assez délicate. Il s’apparente, en effet, à une double tentative d’analyse de textes rédigés pour conforter et argumenter les finalités et les objectifs attendus de l’apprentissage de la langue française dans le système éducatif algérien sous l’angle :
- d’une analyse argumentative censée dégager la structure argumentative qui sous-tend ces textes à « visée argumentative »[3]. Le but d’une analyse du genre est de voir comment ces discours argumentent pour l’apprentissage de la langue française dans le système éducatif algérien, tout en le configurant dans l’environnement sociolinguistique algérien riche et diversifié ;
- d’une approche épilinguistique à laquelle sera confiée la tâche de faire ressortir l’univers de subjectivité qui pourrait entourer ces textes, de détecter tout ce qui pourrait s’apparenter à un discours épilinguistique relatif à la langue française. L’intérêt d’une telle analyse réside dans l’objectif de mettre en contraste les deux types de discours : argumentatif et épilinguistique.
Ce contraste, nous permettra sans doute de faire ressortir les points de rencontre ou de divergence entre les contenus des deux discours. Le discours épilinguistique est là pour traduire une vision, des sentiments vis-à-vis de la langue dont on parle dans ce discours, en l’occurrence, la langue française.
En des termes plus simples, nous dirons que notre travail se donne pour but d’établir un lien entre ces deux aspects contradictoires de prime à bord, mais complémentaires, à considérer leur poids dans la construction de l’argumentation. Le discours épilinguistique reste toujours un discours émotif et intime et il ressort de ce caractère un besoin, chez le locuteur (l’orateur), de doter ce discours d’une force de persuasion sans égal, du moment qu’il s’agit de tenter de faire accepter des jugements et des sentiments personnels comme vrais, justifiés. Une tentative qui reste pour le moins délicate dès lors qu’elle tend vers l’acceptation d’ « arguments » qui échappent à toute logique et entrent dans le domaine du subjectif.
Nous partons donc au départ, d’une revue de la situation sociolinguistique de l’Algérie à partir de la mise en accent du caractère plurilingue de tout discours sur les langues et de ce fait, l’accent sera orienté de fait, sur les jugements et appréciations nourries et exprimés envers chacune des langues en présence. Nous poserons la problématique dans le sens où celle-ci touche en plein centre le débat houleux qui ne cesse d’accompagner le discours sur les langues en Algérie tout en en précisant les motivations, le cadre théorique, le corpus choisi pour tenter d’y répondre, la méthodologie suivie pour y parvenir, avec à la clé, quelques exemples d’extraits illustrant la complexité des rapports qu’engage le discours officiel quand il s’attaque à la gestion écolinguistique, sans un espace où les sensibilités linguistiques sont profondément empreintes de sensibilités idéologiques : identitaires, économiques, socioculturelles, religieuses aussi.
1. 1. Problématique : aspects théorique et méthodologique
1. 1. 1. Quels arguments pour le choix du français dans l’enseignement en Algérie ?
La question primordiale ayant aiguisé notre curiosité est à un tel degré d'importance que nous avons jugé nécessaire d'étaler les raisons qui nous ont mené à la poser avant d’essayer d’y donner une quelconque réponse ! Cette question est la suivante : pourquoi dans un pays dont on revendique très souvent la richesse culturelle (différents repères culturels tels que la culture berbère ancestrale mélangée au cours des siècles avec la culture arabo-musulmane et la culture française ancrée par la longue période de colonisation) de manière générale, et linguistique plus particulièrement (diversité des communautés linguistiques parlant les différentes variétés de l’arabe aux diverses variétés du berbère), le recours à l’utilisation de la langue française relève d’un certain processus d’aliénation en même temps que les instances officielles n’hésitent aucunement à faire appel à cette langue lorsqu’il s’agit de rédiger des textes de loi ?
Les textes officiels émanant des hautes institutions de l’État − et que nous nous proposons, ici, d’analyser − sont rédigés en langue française, bien que les commentaires officiels parlent de « traduction » seulement. Dans ce sens, un extrait relevé du journal officiel, notamment, un article relatif aux «transports routiers internationaux et de transit de voyageurs et de marchandises», illustre parfaitement l'importance de la place de la langue française dans la rédaction de ces mêmes textes:
« En cas de divergence, la version française [dudit article] constituera le texte de référence »[4].
Bien que ce texte ne soit pas relatif à la place et rôle du français dans l'Éducation Nationale algérienne, la note qui fait de cette langue, la langue de «référence», nous renseigne bien sur cette place justement de la langue française dans les décrets officiels abordant les accords internationaux, en particulier, et dans la législation algérienne de manière générale. Ceci se confirme plus si l’on sait qu’il s’agit ici d’un protocole d’accord international, ce qui aurait pu nous laisser penser que la langue dans laquelle devrait figurer le « texte de référence » est l’anglais et non le français !
Pour ce qui est des textes officiels régissant l'enseignement du français en Algérie, il s’agit de textes de loi qui argumentent pour un usage « modéré » du français − jusque là, considéré comme une langue étrangère – seulement en ce qui concerne le volume horaire qui lui est attribué, en même temps qu’ils justifient et argumentent – mais dans des textes différents – pour un usage plus large et plus généralisé de la langue arabe, qui est « officiellement » la langue de la nation[5]. Un regard sur la situation sociolinguistique de l’Algérie, nous permet de constater que le français bénéficie d’un usage très étendu et même omniprésent dans des secteurs autres que celui de l’enseignement (les médias, l’environnement graphique, etc. Celui des médias (en dehors de la télévision nationale et quelques chaînes radiophoniques) s’offre à une « francisation », large et affichée de ses composants (journaux indépendants et même certains titres publics, magazines, revues culturelles, scientifiques ou sportives, …).
Cela se fait en tournant le dos aux législations régissant ces secteurs, notamment la « loi n° 91-05 du 16 janvier 1991, portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe »[6] et l’ « ordonnance n°96-30 du 21 décembre 1996 modifiant et complétant cette loi », elles-mêmes rédigée en langue française[7].
Un autre questionnement vient s’imposer aussi : compte tenu du caractère diversifié et riche de la situation sociolinguistique de l’Algérie et, prenant en compte le fait que la langue française bénéficie d’une utilisation presque plus généralisée que celle de l’arabe, tous secteurs confondus[8], quels pourraient être les arguments que les institutions pourraient avancer pour légitimer un tel ou tel autre usage, une telle ou telle autre place pour la langue française ?
Parmi les différentes familles d’arguments, l’argument d’autorité ne serait-il pas le seul à même de justifier cet état de fait, qui aspire à instaurer l'arabe classique comme seule langue d'enseignement?
Quelle serait la portée des autres arguments avancés dans un contexte exclusivement prescriptif (qui est le contexte officiel) qui ne s’offre pas au débat et à la controverse? Jusqu’où peut aller le besoin de recourir aux techniques d’argumentation dans ce genre de textes qui se légitiment de fait, par leur caractère officiel? Comment ces textes argumentent-ils en faveur d’un unilinguisme (arabe) dans une situation de coexistence de plusieurs langues (variétés du berbère, français et arabe populaire)? Cette dernière question constitue, à elle-même, l'élément le plus important dans notre investigation.
Pour essayer d'apporter ne serait-ce qu'un minimum d'éléments de réponses à tous ces questionnements, il s'avère qu'une analyse très minutieuse de la structure argumentative dans ces textes est à même de nous révéler ce noyau argumentatif sur lequel reposerait toute l’entreprise de persuasion qui sous-tend l’élaboration de ceux-ci.
Ce noyau argumentatif nous permettra sans nul doute de mettre en évidence tous les éléments susceptibles de répondre à notre question principale : comment ces textes de loi argumentent pour un choix linguistique dans une situation dite plurilingue? Nous nous consacrerons donc à l’entreprise de répondre à cette question, entre autres très certainement, tout en axant l’essentiel de notre travail sur l’objectif de savoir :
Dans un pays connu pour constituer un espace linguistique très riche (dit aussi plurilingue), comment cette structure argumentative est-elle adaptée au choix de la langue arabe et quels sont les arguments avancés quant à la place ainsi qu’au rôle assignés au français dans le système éducatif algérien ?
Quels sont les arguments sur lesquels s’appuie le noyau argumentatif de ce discours? Quelles sont les familles d’arguments auxquelles est confié cet objectif de persuasion ? Quelles sont les plus utilisées ?
Notre souci premier sera donc de chercher à savoir :
Comment un texte « officiel » argumente-t-il en faveur d'un choix linguistique dans un environnement dit plurilingue ? Et, dans le cas de l’Algérie, quels arguments pour justifier la place et le rôle actuels accordés au français dans le système éducatif algérien ?
Dans un second temps, et toujours dans la première partie, nous essayerons de voir sous quel angle, nous pourrons mettre en rapport les environnements dits linguistiques qui abritent les différentes techniques et procédésd’argumentation (déictiques, actes de langage, syllogismes, répartition des familles d’arguments, …), avec l’environnement dit sociolinguistique. Ce dernier sera appréhendé dans un cadre très restreint, celui qui le renvoie à l’imaginaire linguistique, à l’intérieur duquel se forge un autre genre de discours, que l’on dénomme sous l’appellation de « discours épilinguistique ».
C’est là une perspective qui –nous le pensons− confortera l’hypothèse selon laquelle : « Dans les textes de loi relatifs au rôle et à place du français dans l’Éducation Nationale algérienne, le discours épilinguistique participe d’une image − partagée au sein des institutions officielles − de la langue française et détermine, par là, une position « officielle » pas nécessairement admise ou assumée, par rapport à cette langue.
La deuxième partie abritera une analyse des différents textes et discours relatifs à la langue française dans l’Éducation Nationale algérienne : une analyse purement argumentative des textes de loi sera appuyée par une approche épilinguistique de ce discours officiel nous renseignera d’abord sur les représentations dont fait l’objet la langue française, par les ses tenants, et c’est sur cette (ou ces) représentation(s) que nous comptons pour réussir à faire, dans les limites du possible, le lien entre ces deux grands axes.
Ce lien s’établirait donc entre l’environnement linguistique (la structure argumentative dans sa globalité) et le contexte sociolinguistique environnant ce discours épilinguistique. Nous nous proposons, tout d’abord, de faire de l’entreprise de chercher ce lien pouvant s’ériger entre les deux aspects importants, sous lesquels se présentent les structures de ces différents textes de loi qui constituent notre corpus, l’une des assises fondamentales de notre travail.
C’est à ce lien qu’incombe la tâche de concilier la réalité émise et déclarée (appuyée par les différents arguments utilisés et qui constituent la structure argumentative) à l’intuition cachée et sous-entendue (les représentations, positives ou négatives, caractérisant la langue française) dans l’imaginaire linguistique des officiels, tenants de la décision dans l’Éducation Nationale.
En d’autres termes, cette entreprise consistera à essayer de lierl’argument (dans toute sa rigueur et sa force de persuasion logiques et scientifiques) à la réalité sociolinguistique (avec tous ses aspects subjectifs et intuitifs), en passant par l’imaginaire linguistique régissant les attitudes de nos officiels vis-à-vis de la langue française –qui constitue, ici, le fil d’Ariane de notre travail– en faisant fi des autres langues, non moins importantes, l’arabe et le tamazight, sujettes à des débats et analyses encore plus pointus et sensibles à la fois.
1.2. Les langues en présence en Algérie et le pluralisme linguistique
L’Algérie, comme un bon nombre de pays dans le monde compte plusieurs parlers. L’arabe étant le plus utilisé dans tous les quatre coins du pays. Il s’agit bien évidemment de l’arabe dit populaire, dialectal ou tout simplement appelé arabe algérien (plus de 60% de la population est arabophone)[9] utilisé comme langue véhiculaire. L’utilisation de l’arabe dit classique, académique, littéral, littéraire, standard ou, plus prestigieusement, la langue du Coran, est restreinte à l’administration (les documents et pièces administratives, les administrations des établissements étatiques tels que les assemblées communales, les établissements d’enseignement, etc.) et aux corps officiels (les corps de sécurité).
Vient ensuite le kabyle qui est la variante du berbère la plus utilisée (environs 30% de « kabylophones »)[10]. Le français vient en tant que langue étrangère qui bénéficie d’un usage largement répandu au sein de la population.
« Deuxième pays francophone après la France[11], l'Algérie officielle traîne ce vestige de la colonisation comme une maladie honteuse. Malgré les sollicitations des pays membres de l'Organisation internationale de la francophonie, le gouvernement algérien continue de se faire prier pour adhérer à un mouvement, rejeté depuis sa création comme l'instrument d'une idéologie néocoloniale »[12]. Le français en Algérie est une des langues les plus parlées, à côté des variétés du berbère et de l’arabe dit dialectal ou populaire. L’environnement linguistique diversifié est irrévocablement imprégné d’un usage très large de cette langue dans différents secteurs de la vie quotidienne des Algériens (l’environnement graphique, la presse, la télévision et la radio, etc.). « La langue française est considérée comme langue première [maternelle] dans de nombreux foyers »[13].
Les textes officiels qui prennent en charge la gestion de l’enseignement de cette langue en Algérie sont nombreux.
En effet, dès l’indépendance, en 1962, le système éducatif algérien a connu un certain nombre de réformes qui confèrent, à chaque fois, à la langue française, un « statut provisoire » (mais jusque-là jamais reconnu officiellement) et qui change au fil des réformes. Les premiers textes auxquels on doit la première forme de gestion sont contenus dans la circulaire ministérielle de 1976. La réforme de 2002[14] (avec la venue du président Bouteflika à partir de 1999) a vu une « victoire » du français en lui accordant la possibilitéd’être enseigné dès la deuxième année primaire.
Il ne fallait surtout pas crier cette victoire car juste après la rentrée scolaire suivante, le français « recule » et se voit enseigné à partir de la troisième année seulement. Argument ? Le ministre algérien de l’Éducation Nationale affirme alors qu’« on ne peut pas aller plus loin » !
Ceci étant, et quelle que soit la place accordée à cette langue dans l’enseignement, un autre plan vient poser problème. En effet, sur le plan pédagogique, comme le signale C. Mbodj : «faudra-t-il s’interroger sur le type de français à enseigner : faut-il enseigner un ou plusieurs français?
Se pose donc le problème de la norme du français à enseigner : s’agira-t-il d’une norme endogène[15] ou exogène[16], acrolectale[17] ou mésolectale ou d'une norme réelle[18] , d’une norme construite[19], d’une norme idéale[20] ou d’une norme pédagogique ?[21]
En tout état de cause, l’enseignement du français, même si on se pose la question de savoir quel français enseigner, même si on se pose la question de savoir s’il faut l’enseigner comme langue étrangère ou comme langue seconde, doit s’inscrire selon l’avis de nombreux spécialistes dans le multilinguisme, même s’il occupe une position institutionnellement privilégiée en certains pays d’Afrique, à la fois comme langue officielle et langue d’enseignement.»[22]
En Algérie, les différentes réformes ayant touché le secteur de l’Éducation ne se légitiment donc pas par le fait que l’on n’arrive toujours pas à statuer sur le rôle et la place de la langue française dans le système éducatif.
Cet aveu du premier responsable du secteur de l’Éducation nous renseigne sur la sensibilité qui entoure ce débat autour de la place devant être accordée au français dans le décor sociolinguistique de l’Algérie, à travers ce secteur.
Nous limiterons notre orientation à une synthèse objective des arguments avancés pour une position ou pour une autre, et voir à partir de là, si cette position correspond ou non à cette réalité sociolinguistique. Il sera question donc, d’une analyse mettant en avant le souci de conjuguer la rigueur scientifique de la discipline de l’analyse du discours et la solidité des fondements théoriques et méthodologiques de cette discipline avec la subjectivité et l’intuition contenus dans le discours épilinguistique qui caractérise la langue française chez les responsables du secteurs de l’éducation.
- 1. Recueil du corpus
Nous aurons donc à analyser lastructure argumentative dans un ensemble de textes prenant en charge la gestion de l’enseignement des langues étrangères, notamment le français en Algérie. Il s’agit de textes dont la visée est de persuader un certain nombre de locuteurs de la nécessité de l’apprentissage des langues étrangères par les finalités et les objectifs attendus par l’École algérienne.
- 1. 1. Présentation de la méthode d'analyse utilisée
Nous devons la méthode d'analyse argumentative que nous appliquons dans ce qui suit au mouvement américain nommé informal logic (logique informelle)[23] qui s'est développé dans la seconde moitié du siècle dernier aux États-Unis, comme nous y avons déjà fait référence dans le premier chapitre, en « État de la question ». Cette approche, essentiellement centrée sur l'exploitation de l'analyse naturelle que l’esprit peut faire d'un discours sans recourir aux outils sophistiqués de la logique moderne, a été utilisée à quelques reprises au Québec et notamment dans le manuel d'introduction à la philosophie de Pierre Blackburn[24]. Elle a été reprise plus récemment et avec plus d'explicitation par Claude Paris et Yves Bastarache dans l’un de leurs ouvrages[25].
Mais dans un cas comme dans l'autre, et par rapport à ces travaux, les auteurs se limitent, pour l'essentiel, à analyser de courts « textes faits sur mesure » (ou, parfois même, réécris) pour ce type d'analyse et dont la dimension ne dépasse que rarement une quinzaine de lignes. L'originalité de notre approche, s'il en est une, toujours en appliquant cette même méthode, est de nous attaquer à l'analyse de textes à caractère officiel tels quels sans coupures ni modification. En fait, nous respectons les limites naturelles des textes, c'est-à-dire, que nous considérons les argumentations telles qu’elles ont été insérées dans les textes.
Compte tenu du fait que les contextes dans lesquels peuvent émerger les différents arguments ne sont pas toujours aussi explicites et évidents, il arrive donc assez fréquemment que les argumentations puissent s'en détacher comme une partie autonome qui se prête à l'analyse après que ces contextes soient bien cernés.
Le contexte qui entoure notre corpus est un contexte formel dessiné par le cadre qui confère aux textes qui le composent un caractère plus ou moins « officiel ».
- 1. 2. Description de la méthode
Le livre de Paris et Bastarache, déjà cité, offre déjà une description sommaire de cette méthode et nous avons l'intention d'en faire la simple application sur un discours plus didactique que littéraire. Il s’agit en effet, d’un discours en rapport avec les objectifs de l’apprentissage de la langue française dans le palier secondaire de l’enseignement algérien.
L’énumération des différents arguments avancés sera la première étape de notre analyse. Elle sera suivie d’une deuxième étape qui, elle, sera consacrée à l’analyse de ces arguments, à l’examen de leur portée et de leur poids dans l’édification de la structure argumentative globale élaborée pour soutenir la thèse de départ. Comme toute dernière étape, il sera question de dégager les familles d’arguments et la structure argumentative. Ces dernières seront illustrées par des schémas argumentatifs.
- 1. 3. La légende argumentative
La légende consiste simplement à dresser la liste des propositions constituant l'argumentation, soit la thèse et les divers arguments choisis par l’énonciateur pour faire accepter à son auditoire la thèse qu'il veut défendre. Nous proposons de présenter la thèse – qui, précisons-le, est la même dans toutes les légendes qui vont suivre – en début de liste. Pour ce qui est des arguments, il s'agit de les numéroter selon l'ordre de leur apparition et de les reformuler – si besoin est, mais tout en mettant en exergue les éventuelles modifications et ceci en les mettant entre crochets– pour éventuellement les clarifier et les simplifier en prenant soin de ne pas en déformer le sens. L'on s'attend à trouver, dans la légende des phrases complètes, des affirmations ou négations, et non pas des questions, même si l'énonciateur, pour des raisons rhétoriques ou autres, les présente parfois sous formes de question. Quand l’émetteur répète un argument ou une thèse, la légende ne la répète pas.
Enfin, les illustrations, exemples, explicitations, descriptions qui accompagnent les arguments ne sont habituellement pas considérés faire partie de la légende, sauf si l'émetteur donne à penser qu'il veut utiliser un exemple ou un cas particulier directement comme argument, c’est ce que nous retrouverons justement dans l’une de nos légendes.
- 1. 2.1.1.1. Exemple de légende argumentative
Nous avons donné, précédemment, la ligne de conduite que nous avons à suivre dans notre approche. Il s’agit d’appliquer une méthode consistant à dégager des légendes argumentatives.
Chaque légende s’articule sur trois axes : après énumération des arguments, vient leur analyse puis, comme dernière étape, dégager les structures argumentatives qui correspondent, chacune, à une structure bien précise. Pour bien illustrer notre façon de procéder, nous donnons dans ce qui suit, un exemple de légende argumentative. Les arguments qui la constituent sont tirés de notre corpus et ne feront pas l’objet d’une deuxième analyse. Précisons encore une fois que la thèse défendue est la même dans toutes les légendes argumentatives qui vont suivre.
Thèse :l’apprentissage de la langue française est indispensable. (Importance de l’apprentissage de la langue française)
Arguments :
Arg.1 : (Utilisation de l’apprentissage du français comme moyen:)
- D’éducation à une citoyenneté responsable et active des apprenants ;
- Développement de l’esprit critique, du jugement et de l’affirmation de soi ;
- [d’assurer] la continuité naturelle de l’apprentissage après la sortie de l’école ;
- De formation intellectuelle des apprenants pour leur permettre de devenir des citoyens responsables, dotés d’une réelle capacité de raisonnement et de sens critique ;
- D’insertion dans la vie sociale et professionnelle ;
- De sensibilisation aux technologies modernes de la communication ;
- D’acquisition d’un outil de communication permettant d’accéder aux savoirs.
Arg. 2 : (Acquisition d’une langue étrangère dans le but de :)
a1. Réaliser un apprentissage efficace par le mariage de l’aspect « utilitaire » et « culturel » ;
b1. La réussite professionnelle dans le monde du travail (qui demande de plus en plus de connaissance des langues étrangères) ;
c1. Connaissance objective de l’Autre à travers une réflexion entretenue sur le rapport identité/ Altérité ;
d1. Favoriser l’intégration des savoirs, savoir-faire et savoir être, en maintenant l’apprenant en [connexion] avec son environnement culturel ;
e1. L’ouverture sur le monde pour prendre du recul par rapport à son propre environnement ;
f1. La familiarisation avec d’autres cultures francophones pour comprendre les dimensions universelles que chaque culture porte en elle ;
g1. Réduire les cloisonnements et installer des attitudes de tolérance et de paix.
- 1. 2.1.1.2. Lecture d’une légende argumentative
L’énumération de ces arguments nous permet de bien cerner la structure argumentative sur laquelle repose ce texte.
Il est cependant important de préciser que cette énumération s’est faite en prenant en considération d’abord, l’ordre d’apparition des arguments – pour la plupart – mai aussi leur insertion dans les arguments de base dont nous avons pu distinguer deux :
- Arg1 : « l’instrumentalisation de l’apprentissagedu français est une nécessité ».
- Arg2 : « l’acquisition d’une langue étrangère est indispensable dans la vie de l’apprenant ».
Les arguments avancés ici sont en contiguïté. Arg1 est avancé en grande ligne, c’est-à-dire comme titre qui verse dans l’énumération d’un certain nombre d’arguments : a, b, c, d, e, f et g. Il en est de même pour Arg2 (a1, b1, c1, d1, e1, f1 et g1). Il ressort de ce qui précède que l’argumentation dans ce texte repose sur deux arguments essentiels que nous choisirons d’appeler les arguments-piliers, en l’occurrence, Arg1et Arg2.
« L’importance de l’apprentissage de la langue française est une évidence ». Cette thèse-argument[26] est soutenue par Arg1qui lui est soutenu par les arguments-appuis, en l’occurrence a, b, c, d, f et g. Idem pour Arg2qui s’appuie sur les arguments a1, b1, c1, d1, e1, f1 et g1. Il faut comprendre, ici, que les arguments-piliers sont à la base des arguments-appuis, ces derniers justifient les premiers qui les sous-tendent.
Arg1 est en relation directe avec Arg2,en ce sens où celui-ci ne peut être avancé comme tel (c’est-à-dire comme argument à la thèse de départ) qu’en tenant compte de la réalisation de Arg1. Autrement dit, « la nécessité d’instrumentaliser l’apprentissage de la langue française » ne peut « se sentir » que si « l’importance de l’acquisition de cette langue dans la vie des apprenants » est mise en évidence. Nous pourrions avancer que Arg1 implique Arg2 (Arg1↔ Arg2). Il s’agit d’un rapport logique d’implication, qui s’effectue aussi pour ce qui est des arguments-appuis (pour chaque argument-pilier, en l’occurrence Arg1 et Arg2).
C’est dire que l’instrumentalisation de l’apprentissage de la langue française devient une nécessité (elle constitue donc un argument) une fois l’importance de l’acquisition d’une langue étrangère dans la vie des apprenants constitue une raison suffisante pourencourager son apprentissage.
L’interprétation des arguments-piliers – qui s’impliquent l’un l’autre – nous amène à considérer – comme nous le permet l’établissement de ce rapport d’implication – que les arguments-appuis « héritent » un peu de ce rapport – par simple rapport de déduction – par transition (Si A implique B et que X est contenu dans A et Y dans B, X implique Y).
A titre d’exemple, nous citerons l’argument-appui « c », de Arg1, qui entretient ce rapport d’implication ave l’argument-appui «b1», de Arg2.
Plus explicitement, nous pourrions résumer ce rapport en avançant que l’objectif d’« assurer la continuité naturelle de l’apprentissage après la sortie de l’école », implique « la réussite professionnelle dans le monde du travail », chez l’apprenant bien entendu.
L’exemple des arguments « b », de Arg1, et « c1 », de Arg2, est aussi illustratif de ce rapport : le « développement de l’esprit critique, du jugement et de l’affirmation de soi » permettrait à l’apprenant la « Connaissance objective de l’Autre à travers une réflexion entretenue sur le rapport identité/ Altérité ».
Dans ce qui suit, et en essayant d’appliquer les mêmes principes de la méthode précédente, nous allons essayer de faire une analyse de certains discours rapportés dans 03 manuels de programmes différents, destinés aux élèves des 1ère année secondaire de l’enseignement général, de la 2ème et 3ème années secondaires de l’enseignement technique respectivement.
Nous citerons les objectifs et les finalités de ces enseignements tels qu’ils ont été énumérés dans chaque manuel avant d’essayer d’en dégager les structures argumentatives susceptibles de nous fournir d’abord, les légendes des ces argumentations, puis les schémas correspondants.
Notre discour est constitué d’un ensemble d’énoncés complets, tirés de textes relatifs aux nouveaux programmes conçus pour la matière du français dans les paliers secondaires. Il s’agit en effet de discours à visée argumentative, c’est-à-dire que l’objectif de persuasion y est explicite et les arguments alignés sont facilement détectables. Nous en avons sélectionné certains qui nous semblent plus orientés vers cet objectif.
- 1. Dans un manuel destiné aux élèves de la 1ère année secondaire[27], il est fait état des « orientations du système éducatif » et des « orientations du programme », ses « finalités » et ses « buts ». Parmi les finalités assignées au programme de la langue française en 1ère année du cycle secondaire, nous lirons dans ce manuel que :
« L’enseignement des langues étrangères vise à favoriser :
- L’accès à une documentation simple ;
- La connaissance des cultures et des civilisations étrangères ;
- Le développement de la compréhension entre les peuples »[28]
Dans un cadre plus spécifique concernant directement l’enseignement de la langue française (parmi d’autres langues étrangères), les buts fixés pour ce dernier sont de:
« Développer chez l’apprenant l’acquisition de moyens linguistiques et langagiers lui permettant :
- D’utiliser la langue en situation de communication et d’échange ;
- De faciliter l’expression personnelle et la créativité ;
- De s’initier à l’analyse critique de documents authentiques ;
- De développer, autour de thèmes universels et problématiques actuelles, une attitude d’ouverture aux différences linguistiques et culturelles »[29]
- 2. Dans le manuel destiné à la 2ème année secondaire technique, les finalités de « l’enseignement-apprentissage de la « langue étrangère 1 » vise « l’appréhension critique et autonome des messages culturels authentiques par les médias modernes». Il y est précisé que :
« Cet objectif fondamental signifie :
- Un élargissement des horizons culturels de l’adolescent, par la découverte d’autres littératures, d’autres sociétés que celles auxquelles l’école fondamentale l’a habitué ;
- L’apprentissage d’une lecture au second degré des messages culturels, qui mettent l’adolescent en mesure non seulement de les recevoir, de les percevoir et de les comprendre, mais de aussi de les interroger, de les juger, de les apprécier et d’y retrouver l’écho des débats idéologiques, politiques, sociaux, économiques, du moment où ils ont été appris et l’expression de la personne qui les a écrits ;
- Une meilleure conception de sa personnalité, de sa propre culture vécue dans ses relations multiples, consensuelle autant que conflictuelles avec les autres régimes de la culture universelle.
Dans le manuel destiné cette fois aux élèves de la 3ème année secondaire technique :
« l’enseignement d’une langue fonctionnelle (ou langue de spécialité) ayant montré ses limites nous avons opté plutôt et résolument pour un enseignement fonctionnel de la langue étrangère en essayant de tenir compte du profil d’entrée es élèves (caractérisé essentiellement par des déficits aux plans des savoirs et des savoir-faire linguistiques) et des exigences du profil de sortie (acquisition d’une maîtrise suffisante de la langue française qui permettra l’accès à unedocumentation scientifique et technique et concourra à la poursuite efficacedes études universitaires) ».[30]
Une vue d’ensemble des ces différents discours cités dans ces différents manuel nous offre la possibilité d’émettre certains commentaires qui émaneront d’une analyse globale de ces derniers.
En effet, et en commençant par le discours sur les finalités de l’apprentissage de la langue française contenu dans le premier manuel (destiné aux élèves de la 1ère année secondaire), nous verrons qu’il est fait référence à des objectifs généraux pouvant être résumés dans une seule idée globale. Il s’agit de « forger chez les apprenants une compétence langagière, à partir de la maîtrise de la langue étrangère, afin d’accéder au savoir, à la connaissance et l’acceptation de l’Autre ». Cette idée est résumée dans le manuel en question par le syntagme : « développer la compréhension entre les peuples ».
Les finalités de l’enseignement de la langue étrangère (ici, il s’agit de la langue étrangère 1 ou plus précisément de la langue française), sont prises comme étant les arguments avancés pour justifier l’apprentissage de cette langue dans les différents paliers de l’enseignement algérien auxquels sont destinés ces manuels. Nous avons pris le soin de les citer et de les énumérer selon l’ordre de leur apparition, ce qui n’est pas sans utilité dans l’interprétation que nous pouvons en faire. Car, en effet, l’ordre d’apparition de chaque argument étant essentiel pour déterminer son poids (révélateur de sa « force persuasive) dans la structure argumentative qu’il construit avec les autres arguments.
- 1. 3. Légendes argumentatives
Les légendes et schémas argumentatifs correspondent à des argumentations relevées d’énoncés que nous avons tirés des manuels précédemment cités. Chaque légende est suivie d’un schéma que nous essayons d’esquisser après chaque analyse correspondant à la légende. Une lecture des légendes, et par là, des arguments énumérés, précédera une autre lecture que nous ferons des schémas donnés pour, en quelque sorte, résumer la structure argumentative contenue dans les énoncés analysés.
La première argumentation est contenue dans le discours relevé dans le manuel 1. La légende de celle-ci est présentée dans ce qui suit :
- 1. 3.1. Légende argumentative n° 01
Thèse : l’apprentissage de la langue française est indispensable. (Importance de l’apprentissage de la langue française)
Arguments :
Arg1 : L’enseignement des langues étrangères est indispensable, car il vise à favoriser:
- a. L’accès à une documentation simple ;
- b. La connaissance des cultures et des civilisations étrangères ;
- c. Le développement de la compréhension entre les peuples.
Arg2 : L’enseignement du français [comme langue étrangère] est indispensable, car il permet de :
- a. Développer chez l’apprenant l’acquisition de moyens linguistiques et langagiers lui permettant de :
a1. D’utiliser la langue en situation de communication et d’échange
b1. De faciliter l’expression personnelle et la créativité
c1. De s’initier à l’analyse critique de documents authentiques
d1. De développer, autour de thèmes universels et problématiques actuelles, une attitude d’ouverture aux différences linguistiques et culturelles
- 1. 3.1.1. Lecture de la légende argumentative n° 01
L’énumération de ces arguments nous amène maintenant à distinguer deux grands axes d’argumentation : le premier, appuyé par Arg1., est là pour justifier l’utilité (et même l’indispensabilité) de l’apprentissage de « la langue étrangère » (ici, il est bien entendu fait référence aux langues étrangères enseignées en Algérie : le français, l’anglais, l’espagnol, l’allemand, et plus récemment, le russe et l’italien) et introduit l’énumération des sous-arguments (ou arguments-appuis) : a, b, et c. Le deuxième argument est Arg2, qui vient appuyer, en premier lieu, Arg1 et, en second lieu, introduire l’argument-pilier a, qui lui, s’appuie sur les sous-arguments (ou arguments-appuis) : a1, b1, c1 et d1.
A signaler que Arg1 (nécessité d’enseigner les langues étrangères) s’appuie sur arguments plus spécifiques – par rapport au rôle des langues étrangères dans l’enseignement – assigné aux langues étrangères de manière générale.
Ce rôle étant – selon le manuel 1 qui le cite comme l’argument-appui (que nous retrouverons dans la légende comme l’argument-appui « a ») – de permettre à l’élève « l’accès à une documentation simple ».
Vient ensuite un rôle plus général qui, cité en 2ème position comme un argument-appui, (qui apparaît dans la légende comme l’argument-appui « b ») est d’accéder à « la connaissance des cultures et des civilisations étrangères ». L’argument-appui « c » ne diffère pas de « b », car il constitue un appendice de celui-ci. Il faut comprendre que « la connaissance des cultures et civilisations étrangères » (b), permet « le développement de la compréhension entre les peuples » (c).
La deuxième argumentation sous-tend le discours contenu dans le manuel 2, destiné aux élèves de la 2ème année secondaire technique.
Les arguments cités sont repris dans leur formulation, ordre et moment de leur apparition. Une analyse de ce discours donne lieu aux légendes et schémas argumentatifs suivants :
- 1. 3.2. Légende argumentative n°02
Thèse : l’apprentissage de la langue française est indispensable. (Importance de l’apprentissage de la langue française)
Arguments :
Arg1 : « élargissement des horizons culturels de l’adolescent, par la découverte d’autres littératures, d’autres sociétés que celles auxquelles l’école fondamentale l’a habitué »
Arg2 : « apprentissage d’une lecture au second degré des messages culturels, qui mettent l’adolescent en mesure non seulement de les recevoir, de les percevoir et de les comprendre, mais de aussi de les interroger, de les juger, de les apprécier et d’y retrouver l’écho des débats idéologiques, politiques, sociaux, économiques, du moment où ils ont été appris et l’expression de la personne qui les a écrits »
Avant de dresser une lecture illustrant la structuration de l’argumentation dans ce discours, essayons d’abord de commenter les arguments cités. Ceci n’est certainement pas fortuit, étant donné qu’une lecture approfondie de ces arguments est susceptible de nous renseigner sur un élément très intéressant dans le choix de ces arguments. En effet, si l’on regarde bien l’argument Arg1, nous verrons qu’il y est fait référence – par l’entremise de l’argument-appui (exemple) : « la découverte d’autres littératures, d’autres sociétés que celles auxquelles l’école fondamentale l’a habitué » qu’il contient – à « d’autres littératures, d’autres sociétés auxquelles l’école fondamentale l’ [c’est-à-dire l’apprenant] a habitué ». Bien entendu – et nous nous permettons, ici, de nous éloigner un petit peu de ce schéma – l’école fondamentale algérienne, avant la publication de ce manuel (manuel 2), assignait des enseignements particulièrement versés dans la découverte de la civilisation arabo-musulmane, à travers des textes littéraires d’écrivains et d’auteurs de la littérature moyen-orientale. Ce qui valait à l’apprenant une méconnaissance presque totale d’autres littératures, d’autres sociétés, donc d’autres civilisations. Ce nouveau programme qu’apporte le manuel 2 est donc une sorte de palliatif à cette « carence intellectuelle » que subissait l’élève durant son cursus fondamental.
Toutefois, est-il toujours important de le rappeler, que l’apprentissage d’une langue étrangère reste le pont qui mènera l’élève vers la découverte de ces civilisations ; l’apprentissage de la langue française – argumenté dans ce manuel – reste l’un des raccourcis possibles.
Jetons enfin un œil sur un autre discours, que nous relevons dans un document rédigé en Juin 2002 et qui relance une fois de plus le débat sur les modalités d’enseignement de la langue française au sein de l’école algérienne.
- 1. 3.4. Légende argumentative n°03
Le document en question est en fait un « avant projet » de l’élaboration d’un « Programme de français pour la 2ème année de base ». Nous pouvons relever, en effet, en page 2, de ce document, ce qui suit :
« I. définition de la discipline et implications didactiques
- 1. Une langue pour apprendre et pour communiquer
L’introduction de la langue française en tant que langue étrangère dan le système éducatif algérien, dès la deuxième année de base, répond aux exigences de la mondialisation et du développement scientifique. Le nouvel ordre mondial avec ses enjeux économiques et géographiques, l’impact de l’information et l’essor de la technologie mettent les algériens face à de nouveaux défis.
Dans ce contexte, la langue française permet des échanges à l’échelle planétaire et la connaissance de l’être humain avec la richesse de ses cultures et de ses pensées.
Par ailleurs, la proximité de l’Europe, les relations transméditerranéennes de toutes natures, l’existence d’une importante production littéraire maghrébine en langue française, une large diffusion de médias francophones font que le français est une pratique langagière assez répandue dans le quotidien des algériens.
A cet aspect sociologique s’ajoute l’usage scientifique de cette langue comme outil de recherche et de transmission de savoirs. On répond donc ainsi aux besoins actuels de notre société pluraliste, soucieuse de son développementet de sonouverture sur le monde.
L’apprentissage du français comme langue étrangère, à travers une diversité d’usages, contribue effectivement à développer chez l’apprenant le sens critique, la création, l’expression d’idées et de sentiments personnels qui passent nécessairement par le filtre des mots, des discours et de cette langue. C’est en lisant, en écrivant, en parlant et en écoutant que l’apprenant parvient à la construction et à la pratique de la langue à des fins de recherche d’informations (documentation, lecture…) et d’expression (restitution et élaboration d’information). »[31]
Dans le texte précédent, les objectifs attendus de l’apprentissage de la langue française en Algérie sont clairement cités.
Les arguments avancés sont dans leur ensemble des arguments puisés dans le contexte socio-économique dans lequel baigne l’apprenant. Les exigences quotidiennes de ce dernier, font que l’apprentissage – et par là, la maîtrise d’une langue étrangère (ici, le français) – devient une nécessité, un besoin urgent pour permettre à l’élève de « développer son sens critique, la création, l’expression d’idées et de sentiments personnels ».
Les arguments cités en premier – se rapportant toujours à la réalité de l’apprenant – sont à prendre comme renvoyant à des vérités données pour acquises et attestées. Il s’agit en fait de topoï, autrement dit, des lieux communs. Pour rappel, nous dirons que le topos[32] est le type d’argument sur lequel reposait l’entreprise de persuasion dans la rhétorique ancienne, perçue comme « un art de convaincre ». Les topoï correspondent donc aux lieux communs partagés par les membres de l’auditoire auquel st destiné le message argumentatif. En effet, « la proximité de l’Europe, les relations transméditerranéennes de toutes natures, l’existence d’une importante production littéraire maghrébine en langue française, une large diffusion de médias francophones » est un premier topos car il constitue une vérité attestée en elle-même, acceptée par tous comme telle et n’à pas besoin d’être vérifiée. Il en st de même pour les arguments précédents, tels « exigences de la mondialisation et du développement scientifique », « Le nouvel ordre mondial avec ses enjeux économiques et géographiques » et «l’impact de l’information et l’essor de la technologie ».
A noter aussi la réapparition du même argument, relevé dans la légende n°04. Il s’agit en effet de l’argument qui attribue à l’usage de la langue française, dans le système éducatif algérien, le rôle de constituer, pour l’apprenant, « un outil de recherche et de transmission des savoirs » pour accéder à la documentation et à la science. A ce stade, nous sommes en mesure d’avancer que, de manière générale, l’argumentation dans ces différents énoncés obéit à un certain nombre de critères, celui notamment de s’appuyer sur un certain type d’arguments, dont l’un est, pour l’instant, le topos. Un autre critère est celui de répartir les différents arguments deux types, selon une sélection effectuée selon leur force argumentative (ou poids dans l’argumentation), ces deux types sont les arguments-piliers et les arguments-appuis.
Mais pour l’heure, nous n’allons pas trop nous avancer dans les conclusions, nous préférerons attendre la synthèse des différentes analyses, que nous avons effectuées par rapport aux légendes argumentatives précédentes, pour faire le point sur la structure globale de l’argumentation qui sous-tend ces différents énoncés. Cette synthèse est possible du moment que les énoncés que nous avons analysés se rapportent tous au même discours, émis par rapport à la place et au rôle de la langue française dans l’enseignement algérien.
1. 4. Synthèse des différentes analyses
1. 4.1. Lecture des légendes argumentatives
L’analyse effectuée pour chacune des légendes argumentatives précédentes nous permet de relever un nombre de données susceptibles de nous donner une idée de la technique argumentative adoptée dans le discours qui nous intéresse. Premier fait à relever, qui reste d’ailleurs, à nos yeux, très important à signaler, c’est que l’argumentation dans ce discours, du moins les énoncés que nous avons pu analyser, s’effectue selon un cheminement logique des arguments reposant sur l’énumération claire de ces derniers avant de verser dan leur explication, et – à certains moments – à leur développement. Quant aux arguments, ils sont répartis – de par leur degré de persuasion (ou poids argumentatif) – selon deux grandes catégories :
- Les arguments de base, ou arguments-piliers
- Les sous-arguments, ou arguments-appuis
D’une part, les arguments-piliers : ce sont généralement ceux que l’émetteur place en premier dans la structure de son discours, et que nous plaçons nous en première place dans la légende argumentative. Il s’agit des arguments auxquels l’émetteur confie la tâche d’attirer l’attention de son récepteur et par lequel il fait appel à sa curiosité pour l’amener à chercher les autres arguments insérés ultérieurement. C’est là une stratégie que nous ne sommes pas en mesure de qualifier de « voulue » par l’émetteur, mais qui reste pour le moins très efficace.
L’émetteur, ici, est en mesure de se placer à la position de son récepteur puisqu’il partage avec lui le même univers communicationnel, caractérisé par une même aire géographique, un même contexte social, une vision commune des données politiques, historiques et culturelles qui les réunissent. L’émetteur, comme le récepteur, font partie de la même communauté sociolinguistique pour qui la langue française – enjeu de cette argumentation – reste une langue « étrangère ».
D’autre part, les arguments-appuis : ce sont les augments auxquels l’émetteur fait appel pour soutenir l’argument de base, ou l’argument-pilier. Le recours à ce typé d’arguments est ici, pour l’émetteur, une façon d’accorder à ses arguments de base plus de force persuasive. Il s’agit – si nous pouvons nous permettre l’expression – d’argumenter une argumentation. Le rôle des arguments-appuis – comme leur nom l’indique – est d’appuyer les arguments-piliers, qui eux, sont là pour appuyer la thèse de départ.
C’est la raison pour laquelle, nous ne les considérerons pas comme secondaires ou accessoires, car leur présence justifie celle de l’argument de base sur lequel s’appuie toute l’argumentation. Les arguments-appuis sont aussi cités pour justifier la thèse de départ, mais leur force argumentative est plus orientée vers l’argument de base que vers la thèse argumentée ; en effet, ces derniers soutiennent la thèse en justifiant les arguments-piliers. C’est dire qu’ils sont loin d’être secondaires, mais plutôt qu’ils sont à la base de toute la structure argumentative.
Notons par ailleurs, l’absence d’autres familles d’arguments dans l’argumentation de ce discours. Notre hypothèse de départ ayant stipulé cet état de fait, nous avons pu, au cours de cette analyse, la vérifier en ne cernant qu’une seule famille qui regroupe tous les arguments. Cela nous a été plus perceptible dans la dernière légende argumentative, où les arguments ne sont autres que des topoï. Cette légende est, pour rappel, celle où la thèse est soutenue par l’énumération de « lieux communs » aux deux pôles du schéma de la communication, l’émetteur et le récepteur. Les lieux communs, ou topoï, sont des arguments que le récepteur ne peut que prendre comme vrais et auxquels il ne peut qu'accorder tout son crédit car leur source n'est autre que son propre environnement quotidien, le carde dans lequel il évolue.
Pour finir, nous dirons qu’il semble parfaitement évident qu’un discours sur les langues (quelles qu’elles soient, du moment qu’elles sont pratiquées), tenu dans un contexte comme celui de l’Algérie, se doit d’être armé d’arguments, qui soient bien solides pour que ce discours épilinguistique ait une empreinte sur son auditoire, son récepteur. Aborder un discours sur les langues, dans un environnement plurilingue, amène l’émetteur à chercher à « armer » ses propos avec plus d’arguments possibles, et des plus solides. Même si l’objectif de ce « locuteur épilinguistique »[33] n’est autre que de faire part de représentations qu’il se fait de telle ou telle autre langue, il n’en demeure pas moins qu’il développe un discours argumentatif. Cela s’illustre par les propos de Plantin qui considère que « toute parole est nécessairement argumentative »[34].
Les rédacteurs de ces différents manuels de programmes, tentent, à travers leur discours, de défendre des opinions et des visions qui ne sont pas toujours évidentes, encore moins partagées. Le récepteur algérien, à qui l’on veut faire « admettre » que l’apprentissage de la langue française devient une nécessité, voir même une priorité, n’est pas étranger à l’environnement dans lequel se place l’émetteur en développant son discours. C’est dans ce même environnement commun que l’émetteur puise ses arguments ou plus précisément ses « lieux communs ». Le récepteur devient, par là, capable de mesurer le poids de ces arguments qui lui sont proposés. Ce dernier est, en effet, au courant de la place qu’occupe cette langue dans son environnement, son vécu. La place que l’émetteur de ce discours veut défendre pour la langue française, dans l’enseignement algérien, n’est pas forcément en adéquation avec la réalité du récepteur. Cette place ne rend pas obligatoirement compte de celle qu’occupe la langue française dans l’environnent de l’apprenant (ses différent usages, les représentations dont elle fait l’objet, etc.).
Les arguments que l’émetteur peut avancer servent en fait à réactualiser un débat, souvent évité, qui met l’auditoire devant l’obligation d’effectuer un choix par rapport à ceux-ci, selon que celui-ci se place dans l’un des courants « conservateur » et « moderniste ». En effet, un moderniste accueillera volontiers un argument comme « l’enseignement de la langue française nous permettra l’ouverture sur le monde et le développement de la compréhension entre les peuples », tandis qu’un conservateur pencherait plus vers celui de pouvoir faire de la langue française « un outil permettant l’accès à une documentation scientifique et technique facile ».
Nous pensons que l’usage de la langue française, auquel on peut s’attendre au sein de l’école algérienne, part de la double terminologie qui ramène cette langue d’un statut de « langue fonctionnelle » à celui de « langue seconde », ou de « langue étrangère ». Ce dernier offre en effet, à nos yeux, un cadre d’utilisation plus moderne et plus ouvert sur le plan de l’investissement dans les esprits créatifs et novateurs. Des esprits forgés dans la philosophie de l’affirmation de soi vis-à-vis de l’Autre et permettant l’introduction de la « différence » en tant que facteur d’intégration identitaire pleinement assumée par l’apprenant. En effet, l’affirmation de soi, passe indéniablement par l’acceptation de l’Autre et le canal à travers lequel cette affirmation doit obligatoirement passer, reste la langue.
L’analyse argumentative de ce discours ne traduit pas obligatoirement la vision du public. Il s'agit d'un discours qui tend à la transformer en imposant à ce dernier une nouvelle vision, une autre façon de voir le monde, une autre opinion. Cette vision lui permet en effet de structurer son argumentation de telle sorte qu’il peut assurer à ses arguments plus d’acceptabilité, plus de persuasion. La vision que ce même émetteur a ou peut avoir de l’objet de son discours argumentatif n’est pas sans impact sur la structure de son argumentation. C’est donc à cette vision que nous nous intéresserons tout au long du chapitre qui suivra en l’inscrivant dans un type de discours bien précis, celui que l’on fait sur les langues naturelles, ce discours nous permettra ce que l’analyse argumentative s’avère incapable de faire.
Nous nous consacrerons donc à une deuxième analyse de ce même discours, auquel s’ajoutera un autre discours, plus ouvert et plus libre cette fois que nous puiserons dans les pages de la presse écrite nationale d’expression française, sous une approche épilinguistique. Une approche qui en dira long sur un autre type d’arguments, celui des arguments sous-entendus qui s’inscrivent plus en fait dans un discours non-dit, implicite ou plus communément, le subjectif.
1.5. Le français face à l’arabisation du système éducatif
En cette année de 1962, l’Algérie indépendante fut proclamée. La langue française occupait alors une place prépondérante dans tous les secteurs et notamment dans le système éducatif où elle était obligatoirement langue d’enseignement. Aussi parmi les problèmes de l’heure (dès 1962), la politique linguistique fut l’une des préoccupations majeures des instances gouvernementales. « C’est alors que restaurer la langue arabe dans ses droits, autrement dit comme langue nationale et officielle, ne pouvait que conforter un consensus national »[35].
La langue arabe devenue officiellement langue nationale dans un paysage fortement marqué par la langue française, sa mise en place relevait du défi.
Un défi rendu encore plus difficile, vu que la priorité était d’abord de mener une compagne de « défrancisation » de l’administration algérienne instauré depuis les premières années de la colonisation. C’est donc la tendance vers l’arabisation « totale », mais progressive, du pays et ce dans tous les domaines.
C’est dans le domaine de l'enseignement que des mesures importantes furent prises.
« Étant donné qu’en 1962, l'Algérie était dépourvue d'enseignants parlant l’arabe coranique, le gouvernement n'imposa que sept heures d'enseignement de l'arabe par semaine dans toutes les écoles; ce nombre passa à 10 heures par semaine en 1964 »[36]. Quant à l'enseignement supérieur, il reste encore relativement français, particulièrement dans les disciplines scientifiques et techniques.
En 1974, l'arabisation de l'enseignement primaire était achevée et celle du secondaire était en bonne voie de l'être. Une ordonnance de 1976 sur l'école fondamentale imposa l'enseignement du français seulement à partir de la quatrième année.
L'arabe classique est la seule langue d'enseignement tout au cours du primaire et du secondaire. C’est l’article 15 de la loi no 91-05 du 16 janvier 1991 qui impose cet enseignement exclusif de la langue arabe.
« Article 15
L’enseignement, l’éducation et la formation dans tous les secteurs, dans tous les cycles et dans toutes les spécialités sont dispensés en langue arabe, sous réserve des modalités d’enseignement des langues étrangères »[37].
Le français est toutefois introduit comme langue étrangère obligatoire dès la quatrième année du primaire et, par la suite, jusqu'à la fin du secondaire. Mais cette loi reste loin de l’application attendue et, il faut le dire, cette dernière, reste même difficilement concevable. Le texte de loi intégral portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe en Algérie souffre, en effet, d’une certaine ambiguïté. Cette dernière est perceptible non seulement à travers une tentative de transposition des objectifs de cette politique sur la réalité sociolinguistique algérienne, mais aussi dans le texte fondateur de cette politique, la loi n°95-05 du 16 Janvier 1996 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe.
Dans un article rédigé par Billiez J. et Kadi L., nous pouvons lire, en référence de bas de page, que: « Bien que le premier effet paradoxal de la promulgation de la loi « portant généralisation de la langue arabe » soit d’avoir été elle même rédigée en « langue étrangère » (pour ne pas la nommer, la langue française) »[38].
Dans ce sens, nous sommes tenté d’ajouter que, selon une enquête entrant dans le cadre des travaux de recherche que nous avons menés au cours de notre première année de post-graduation, nous avons pu aboutir un résultat qui récuse la possibilité d’application de cette loi. En effet, et selon les réponses recueillies auprès d’une cinquantaine d’enseignants exerçant à l’université de Béjaia (2005-2006) sur la question en rapport avec « le degré d’application et d’applicabilité de la loi n° 91-05 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe », l’application des directives de ladite loi constitue « un mythe », selon l’un de nos enquêtés.
Il est vrai que cette loi ne s’adresse pas aux enseignants du cycle supérieur, mais il est à signaler que tous les enseignants interrogés exercent dans des établissements d’autres cycles (primaire, moyen et secondaire). Ceci pour dire que les réponses de nos enquêtés sont, pour le moins, révélatrices d’un état de fait incontestable ; cet état rend compte de la difficulté d’appliquer cette loi.
- 2. 1.3. Le statut de la langue française dans le système éducatif algérien
La lecture des différentes instructions officielles régissant le système éducatif algérien depuis l’indépendance, en 1962 (programme de Tripoli : 1962), Charte d’Alger : 1964), Charte Nationale : 1976 et 1986), montre que la langue arabe jouit d’un statut particulier, celui d’ « une langue dont la primauté est indiscutable ».[39]
Toutefois, il y a lieu de signaler que cette volonté de récupérer totalement « la langue nationale » n’a pas occulté la nécessité de s’ouvrir sur le monde : « Notre idéal le mieux compris est d’être nous-mêmes tout en nous ouvrant sur les autres »[40] . C’est pourquoi les langues étrangères étaient très présentes dans les discours officiels à travers des expressions vagues telles mondialisation, modernité, technologie, etc.
C’est ce qui nous a amené à nous interroger sur la place du français dans le système scolaire, d’autant plus que sa présence dans les comportements communicatifs des Algériens demeure indéniable.
La réponse à cette question s’avère difficile en raison du flou terminologique qui accompagne cette langue : elle est tantôt désignée par l’expression « les langues étrangères », tantôt par celle de « la langue étrangère ». De surcroît, cette difficulté à cerner son statut a donné naissance à des finalités conflictuelles : le français est passé d’un « outil de communication à un enjeu »[41], c’est-à-dire un outil politique servant des fins et des desseins inconnus.
En effet, il a fallu attendre l’arrivée de l’ordonnance n° 76/35 du 16 avril 1976 pour que le français se voit conférer le statut de « langue seconde ». Du coup, une série de finalités, associées à celles de l’ensemble du système éducatif, ont été assignées à son apprentissage.
Ainsi, l’enseignement du français s’est vu attribuer la mission de « contribuer avec les autres disciplines à la formation intellectuelle des apprenants pour leur permettre de devenir des citoyens responsables, dotés d’une réelle capacité de raisonnement et de sens critiques et à leur insertions dans la vie sociale et professionnel »[42].
Sur un plan plus spécifique, l’enseignement du français « doit permettre à la fois l’accès à une documentation scientifique et le développement des échanges entre les civilisations et la compréhension entre les peuples »[43].
Ces finalités, qui définissent la destinée du système éducatif et expriment le profil du citoyen algérien à former, dictent la réalisation d’ « un contenu d’enseignement » qui « doit prendre acte des demandes économiques, sociales, culturelles, politiques et idéologiques du pays »[44] ce qui donne, par conséquent, une structure précise au système éducatif algérien.
Depuis la décision, prise au lendemain de l’indépendance, d’arabiser partiellement le système éducatif algérien, en conférant à l’école la mission de former « non de jeunes français mais de jeunes algériens »[45], on assiste à une réduction progressive de la place du français.
Cela se manifeste notamment dans la tranche horaire réservée à son enseignement qui se rétrécit comme une peau de chagrin à la suite de chaque réforme. Toutefois, cette langue demeure présente dans tout le cursus scolaire et universitaire. Ce dernier est structuré comme suit :
- Le système scolaire obligatoire durant neuf ans. L’École Fondamentale est structurée en trois paliers qui ont connu de légers changements depuis l’avènement de la dernière réforme datant de 2003 : le premier représente les deux premières années de la scolarité de l’enfant, le deuxième concerne les 4ème et 5ème années scolaires, quant au troisième, composé de quatre années au lieu de trois auparavant, il s’apparente aux classes des collèges.
- La scolarité est assurée en langue arabe durant le premier palier tandis que le français intervient au début du deuxième et se poursuit jusqu’au baccalauréat, soit neuf années consécutives d’apprentissage du français.
- Quant à son volume horaire hebdomadaire ; il ne cesse de changer passant de 15 heures par semaine à 11 heures durant les trois années du deuxième palier (primaire) et de 9 heures par semaine durant les trois années du troisième palier (collège).
- Lorsque l’apprenant accède au lycée, le volume horaire varie en fonction de la filière suivie : les filières littéraires bénéficient d’un volume de 5 heures de français par semaine en 1er tronc commun et de 4 heures en 2ème et 3ème AS. Alors que l’enseignement du français pour les filières scientifiques ne dépasse pas les 3 heures hebdomadaires en 1ère AS tronc commun et e 2ème et 3ème AS.
Ceci en dit long sur la difficulté que rencontre le français à s’inscrire dans un système qui a du mal à arrêter ses choix linguistiques. En effet, les multiples réformes qui se succèdent traduisent des conflits entre les partisans de la langue arabe qui accusent l’école d’ « être un appendice du système français »[46] et les modernistes qui lui reprochent son hermétisme.
Ces luttes d’intérêts qui caractérisent le système éducatif algérien, à travers les choix linguistiques arrêtés et les volumes horaires qui leur sont impartis, ont certainement des incidences sur les contenus des programmes de français conçus pour le lycée et, par là, sur le rôle et la place que doit jouer et occuper la langue française dans ce système.
- 2. 1.4. Le statut de la langue française dans les écoles privées en Algérie
Par ailleurs, un fait nouveau entre en scène et accorde à la langue française une sorte de « sursis » pour continuer à exister, c’est l’apparition du « privé » dans le secteur de l’éducation signée par l’agrément accordé à des écoles privées. On compte en Algérie un bon nombre d écoles privées. Ces établissements sont implantés dans des villes comme Alger, Tizi Ouzou, Annaba, Sétif, Béjaïa, Constantine, etc. La langue d'enseignement est le français dans ces établissements qui exercent, pour la plus part, dans l’illégalité. Rappelons que, dans les années soixante-dix, le gouvernement avait aboli les écoles privées et avait placé toutes les écoles sous son contrôle. Le nombre d’élèves inscrits dans ces établissements scolaires privés augmente d’année en année. Ces derniers ont fait leur apparition dans les années quatre-vingt-dix au moment où l’école publique, qui dispense la totalité des cours en langue arabe.
Pour la plupart, on reprochait à ces écoles de « franciser l’école et franciser l’Algérie »[47], d’ « imposer une école du déracinement qui renie la langue arabe et l’Islam». Cette opération de force a été menée par la police dans de nombreuses localités; elle est intervenue à la suite d'une ordonnance présidentielle qui exigeait d'enseigner «obligatoirement en langue arabe dans toutes les disciplines et à tous les niveaux». La réglementation va même jusqu’à obliger les propriétaires des écoles privées à déclarer leurs sources de financement, et leur interdit de recevoir des fonds de la part des associations nationales ou d'autres organismes étrangers, sans l’aval préalable du ministère de l’Éducation.
Les écoles privées qui ne répondent pas aux dispositions de l'ordonnance n° 05-07 du 23 août 2005 fixant les règles générales régissant l'enseignement dans les établissements privés d'éducation et d'enseignement, se voient retirer leur permis. C’est ce qui est mentionné dans l’article 08 de ladite ordonnance :
« Article 8
Hormis l’enseignement des langues étrangères, l’enseignement dans les établissements privés d’éducation et d’enseignement est assuré obligatoirement en langue arabe dans toutes les disciplines et à tous les niveaux d’enseignement. »
Les écoles privées actuelles sont dans l'obligation de respecter le programme national établi par le ministère de l’Éducation, conformément au décret ministériel n° 04/90 du 24 mars 2004, fixant les conditions de création, d’ouverture et de contrôle des écoles privées d’éducation et d’enseignement. Le programme comprend toutes les matières enseignées dans les établissements publics: la langue arabe, la langue française, la langue anglaise, l’éducation islamique, l’éducation civile, l’éducation technologique, l’éducation environnementale, les mathématiques, avec en plus le sport pour le primaire.
La plupart des directeurs des écoles privées ont tendance à affirmer que leurs écoles ont pour objectif de former de bons bilingues (arabe-français) pour qu’ils puissent suivre normalement les études supérieures dont plusieurs filières sont généralement dispensées en langue française.
Par ailleurs, ce qui retient l’attention dans le discours précédemment analysé – qui, rappelons-le, est en rapport à la langue française – est qu’il y soit fait référence à « une citoyenneté responsable et active » : autrement dit, cet objectif d’éduquer l’apprenant à une citoyenneté responsable et active » se fera par l’élaboration d’un nouveau programme (celui qui est argumenté dans ce manuel) qui sera assigné en langue française.
L’apprenant est donc censé devenir un citoyen actif, en ayant reçu une éducation qui, elle, est censée être assurée par l’apprentissage de la langue française. C’est ici une valeur, que nous ne pouvons que qualifier de « valeur positive » qui est accordée à la langue française.
L’émetteur de ce discours véhicule – dans ce que nous sommes en pouvoir d’appeler un discours épilinguistique – une vision, des jugements de valeur par rapport à la langue française : la langue française est une langue véhiculant les principes d’une citoyenneté responsable, les valeurs d’une vision « moderniste » et objective du devoir de citoyenneté (citoyen responsable et actif). En d’autres termes, la langue française, selon l’émetteur, est une langue de civisme, d’émancipation, « un moyen » d’exercice de la citoyenneté.
D’un autre côté, la lecture de cet énoncé attitre notre attention sur le dernier syntagme : « [moyen de développement] de l’affirmation de soi ». En effet, et selon cet énoncé, l’apprentissage de la langue française est censé d’abord assurer, à l’apprenant, la possibilité d’exercer pleinement sa citoyenneté (citoyen actif et responsable).
Mais elle permet aussi le « développement d’un esprit critique » et d’« affirmation de soi ». La question qui, selon nous, mérite d’être posée après cette lecture est la suivante : l’apprenant est à même de « s’affirmer » à travers l’apprentissage de la langue française, d’abord : comment, pourquoi, et enfin, par rapport à quoi ? Rappelons d’abord que l’apprenant dont il s’agit est un apprenant algérien, avec toute la composante de sa personnalité : sa langue maternelle est soit l’arabe ou le berbère (avec ses variétés) tout naturellement, ses repères culturels sont censés être ceux qu’il partage avec ses concitoyens algériens : les limites politico- géographiques, l’Histoire, les traditions, le contexte socio-économique, etc.
Ceci étant, cette affirmation dont il est question, ici, est l’affirmation de toutes ces composantes réunies. Toutefois, toute affirmation est relative, en ce sens que le « soi » de l’apprenant se positionne par rapport à un autre ensemble de composantes « identitaires » (puisqu’il s’agit de repérage), autrement dit, d’un autre « soi ».
C’est justement à ce stade que l’on est légitimé de s’interroger sur l’ « identité » de cet « Autre », par rapport auquel l’apprenant doit s’affirmer.
S’agit-il d’un autre citoyen algérien ? Auquel cas, à quel niveau la différence se situerait-elle ? Celui de la langue, serions-nous tenté de répondre ! Ou bien s’agit-il de l’Autre, pris ici comme un individu étranger à l’environnement de l’apprenant ?
Dans ce cas, il pourrait s’agir de tout individu se positionnant en dehors de cet environnement et dont la différence (par rapport à l’apprenant) se situerait à différents niveaux : celui de la langue, de l’aire politico-socio-économique et même de la limite géographique.
Il ressort de ce qui précède que le rôle que doit remplir la langue française, à travers son apprentissage, dans l’imaginaire de l’émetteur, est celui d’un canal par lequel l’apprenant peut véhiculer les composantes de son identité, en les opposant à celles de l’Autre. Encore une valorisation de cette langue par laquelle passe l’affirmation de soi de l’apprenant.
La langue française est perçue donc ici comme le vecteur de l’affirmation de soi de la part de l’apprenant en tant que Même, dans une mosaïque de valeurs et d’éléments culturels et identitaires qu’offre l’environnement social algérien, et qui est illustrée par la diversité de l’environnement linguistique dans lequel l’apprenant doit affirmer sa différence et son appartenance en même temps. Différence, par rapport aux autres éléments des autres communautés linguistiques (berbérophones et arabophone), que prend en charge d’affirmer la langue française en tant que « langue véhiculaire ».
A un autre niveau, le discours sur la langue française n’a certainement pas commencé avec la publication des manuels des nouveaux programmes destinés à l’enseignement de cette langue en Algérie. En effet, et depuis la Charte Nationale de 1976 où le rapport de force entre la langue « nationale » et les langues étrangères fait surface. Ce discours se développe, et est loin de faire l’unanimité au sein des institutions officielles qui le tiennent (les rédacteurs des textes de lois), les divergences vont bon train.
« Ces rapports de force sont explicitement formulés dans l’un des rares textes fondateurs, officiels, qui se soient penchés sur le problème de la langue », comme le souligne Lakhdar Barka Sidi Mohamed dans Les langues étrangères en Algérie : Enjeux démocratiques[48].
Les rédacteurs de ce texte confirment le « pouvoir » des langues étrangères :
« …tout en nous ouvrant sur les autres et en maîtrisant (…) la connaissance de langues de culture qui nous faciliteraient la constante communication avec l’extérieur, c’est-à-dire avec les sciences et les techniques modernes et l’esprit créateur dans sadimension universelle la plus féconde»[49].
L’interprétation des différents arguments avancés dans l’ensemble des légendes argumentatives, permet de relever un bon nombre de visions par rapport à la langue française qui convergent vers l’affirmation de l’hypothèse que nous avons formulée précédemment et qui dit que la tendance la plus proche de ce discours est la tendance hétérogénéisante. En effet, l’exemple ci-dessus est à même de la confirmer : « tout en nous ouvrant sur les autres », « la connaissance des langues de culture », « communication avec l’extérieur » et « dimension universelle ». Se sont là des syntagmes qui renferment l’idée d’ « acceptation de l’Autre et de sa langue ».
L’enjeu de l’enseignement des langues étrangères à partir de cet énoncé apparaît comme l’ultime objectif de l’accession vers « l’ouverture sur l’extérieur » pour « faciliter la constante communication » avec l’extérieur, à travers « la maîtrise des langues de culture »[50] permettant d’ « accéder aux sciences et les techniques modernes de l’esprit créateur ». En un mot, à l’universalité.
Ce discours, faisant partie des touts premiers discours sur les langues, officiellement déclarés, annonce d’ores et déjà l’intention affichée par le législateur algérien de marquer l’usage des langues étrangères, à travers leur apprentissage au sein de l’école algérienne, d’une empreinte purement économique traduisant la volonté de faire de cet « outil » (la langue), un pont vers « les savoirs et les technologies » que « l’esprit créateur » de l’Autre est en mesure de développer. A préciser aussi que ce pont passe d’abord, selon le discours du législateur, par la « connaissance et la maîtrise des langues de culture », lesquelles permettent d’abord l’accès vers connaissance de la culture de l’autre avant d’accéder à son savoir et à ses techniques : « l’accès au savoir et la technique » est donc subordonné à « la maîtrise des langues de culture ».
Revenons maintenant au discours de M. le Ministre sur les modalités auxquelles doit se conformer tout établissement privé dans les programmes d’enseignement qu’il dispose : « je ne ferai aucune concession sur le programme et la langue enseignée ».
Il est presque évident, à partir de ce discours que la langue dont il est question, ici, n’est autre que l’arabe classique.
L’obligation pour les établissements privés de disposer les enseignements dans cette langue (« aucune concession ») devient, selon le ministre, « un facteur d’intégration sociale très important ».
Conclusion
Dans les différents discours que nous avons pris, il est question – rappelons-le – des objectifs attendus de l’apprentissage de la langue française. Il n’est cependant pas facile de cerner avec exactitude cet univers émotionnel qui entoure ce discours car les jugements et sentiments que peut porter l’émetteur à l’égard de cette langue ne sont pas explicitement exprimés. Leur appréhension passe d’abord par une opération d’interprétation des arguments que l’émetteur s’emploie à énumérer. Dans ce sens, et en nous rapportant aux différentes légendes argumentatives analysées, nous sommes en mesure de tenter cette interprétation tout en nous focalisant sur la nature de certaines formes linguistiques, notamment les adjectifs qualificatifs, susceptibles à nos yeux de renvoyer l’image de la langue française dans l’imaginaire de l’émetteur.
La lecture des différentes ordonnances et décrets relatifs à son enseignement ne manquent pas de marquer l’usage du français par des limites de plus en plus étroites. L’enseignement est le secteur où, comme nous l’avons déjà dit, la diversité des langues en Algérie est perçue comme une menace pour l’unité nationale de par la menace que ces langues représentent pour la survie et l’utilisation de la langue nationale, symbole indélébile de la cohésion du peuple algérien.
Ce secteur sensible est régi depuis des années par une loi qui met l’accent sur la généralisation de l’usage de la seule langue arabe ; c’est pourquoi l’on assiste à l’instauration d’un unilinguisme au détriment d’une ouverture sur les autres langues et sur la culture universelle. L’école algérienne, souffre aujourd’hui d’un anachronisme par rapport aux nouvelles donnes internationales. L’ère de la nébuleuse de la mondialisation est un argument de taille pour mettre les gouvernements de tous les pays devant le fait accompli. La mondialisation « économique » est lancée, traînant avec elle un principe de domination, par la loi du plus fort, et en effaçant devant elle les frontières économiques, politiques et même géographiques. La nouvelle donne mondiale impose la nécessité de mettre sur pied une stratégie qui encourage l’enseignement des langues étrangères, de le centrer sur l’objectif de former l’élève à l’ouverture, la compréhension et l’acceptation de l’autre avec sa différence. « L’élève algérien » est appelé, aujourd’hui plus que jamais, à s’initier aux langues de culture afin d’accéder aux langues de savoirs, à l’élargissement [de ses] horizons culturels, par la découverte d’autres littératures, d’autres sociétés que celles auxquelles l’École fondamentale l’a habitué ».
Il est aussi primordial pou lui d’avoir « une meilleure conception de sa personnalité, de sa propre culture vécue dans ses relations multiples, consensuelles autant que conflictuelles avec les autres régimes de la culture universelle »[51].
Le discours que nous avons étudié se prête à cette mission, au vu des finalités et des objectifs attendus de l’apprentissage de la langue française. L’analyse que nous avons effectuée dans ce travail ne risque pas de contredire, dans ses résultats, une réalité sociolinguistique comme celle de l’Algérie.
C’est l’analyse d’un discours structuré autour d’une vision argumentative favorable à l’enseignement non seulement de la langue française, mais aussi, des langues étrangères. La nécessité d’initier l’apprenant à la pratique de ces langues peut aisément se lire dans ce discours, mais l’écart entre celui-ci et le discours auquel revient la prérogative de gérer le secteur de l’enseignement est flagrant. En effet, depuis l’indépendance, le discours officiel qui régit le système éducatif algérien a pour fondement les instructions inspirées du Programme de Tripoli (1962) et la Charte d’Alger (1964), la Charte Nationale (1976 & 1986). Ce dernier voit en l’enseignement de ces langues un facteur qui encouragerait la propagation d’une vision divisionniste car, menaçant l’usage de la langue nationale, en l’occurrence l’arabe.
Dans cette conclusion donc, nous ne reprendrons pas les mêmes résultats et leurs commentaires que nous avons déjà cités dans les conclusions partielles, mais nous nous limiterons à faire la synthèse générale de notre étude et d’en réitérer les grands axes afin d’ouvrir le champ à des perspectives d’étude à venir.
Les différents textes officiels régissant l’enseignement de manière générale optent, pour leur part, pour un enseignement généralisé d’une seule langue, au détriment des langues étrangères dont le français constitue la première langue. La place de la langue française dans le quotidien de l’apprenant est très importante, ce qui n’est pas sans imposer la nécessité de son apprentissage. L’argumentation dans ce type de discours échappe, de loin, à cette technique adoptée dans le discours contenu dans les manuels, ce qui constitue un paradoxe intrigant à plus forte raison que celui-ci est censé refléter la même vision que dans les textes officiels étant donné que la rédaction de ces manuels se trouve cautionnée par le ministère de tutelle, en l’occurrence, le Ministère de l’Éducation Nationale.
L’élément de contradiction qui sépare le discours dans les manuels des nouveaux programmes du français et celui des textes de loi régissant l’enseignement de cette langue en Algérie reste visible. Il est à prendre comme le point de séparation entre la réalité de la langue française dans le système éducatif et sa réalité naturelle. La place qu’occupe la langue française, comme matière dans les enseignements réservés au palier secondaire reste vraiment à reconsidérer eu égard de la place que celle-ci occupe dans l’environnement sociolinguistique des apprenants. Il n’est, à notre sens, guère de politique linguistique qui puisse, en pratique, changer cet état de fait car non seulement la langue française en Algérie est l’une des langues les plus proches de l’univers discursif des locuteurs algériens, mais celle-ci demeure aussi légitimement la première langue étrangère dans ce pays. Cela n’est pas plus étonnant – et devient presque un fait banal – dès lors que nous assistons aujourd’hui à une extension de plus en plus large de cette langue au sein de la société algérienne. Ce fait devient encore plus familier quand cet usage « s’invite » jusque dans les foyers où l’on ne s’étonnera plus de savoir que la langue française se mue du statut de langue étrangère vers celui de langue maternelle !
Bibliographie
Lakhdar Barka, S.M., Les langues étrangères en Algérie : Enjeux démocratiques, Novembre 2002.
Baghdad, O.M., avril 1994, Esquisse d’une méthode d’élaboration des programmes d’enseignement, L’école et la vie.
Bouguerra, T., Didactique du français langue étrangère dans le secondaire algérien, Orientations, directives et programmes de 1963, Office des publications universitaires.
Le français dans le monde : Algérie : un système éducatif en mouvement, Novembre-décembre 2003 – N°269.
Billiez, J. & Kadi L., Le français écrit dans l’espace public algérien : un développement paradoxal, atelier de sociolinguistique.
Charte Nationale de 1976, Editions populaires de l’armée.
Kadi L., Appropriation du français dans le système éducatif algérien et comportements langagiers, Université d’Annaba.
Programme de première année de français : les finalités de l’enseignement du français.
Grandguillaume, G., Colloque sur le bilinguisme à Mayotte, (20-21-22-23 et 24 mars 2006), organisé par le Vice-Rectorat de Mayotte, 1ère intervention.
Texte intégral de la loi n°91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe
Le français dans le monde : Algérie : un système éducatif en mouvement, Novembre-décembre 2003 – N°330.
Manuel :
Manuel des nouveaux programmes de la première année secondaire, Programme, commission nationale des programmes, mars 2005, O.N.P.S
J. Zenati, L’Algérie à l’épreuve de ses langues et de ses identités : histoire d’un échec répété, Mots, les langages du politique - Numéro 74, mars 2004, p. 137 à 145.
[1] DERRADJI, Y., « Vous avez dit langue étrangère, le français en Algérie ? », Article en ligne.
[2] Les deux grands axes dont il est question sont l’invasion de l’Algérie, à travers celle du Nord africain, par les arabes, ce qui a permis l’introduction de la langue arabe et la colonisation française de ce pays qui instaure depuis, l’usage de la langue française.
[3] La visée argumentative d’un discours concerne, selon Ruth Amossy l’orientation donnée à tout discours visant à persuader, à convaincre un auditoire en vue d’emporter l’adhésion. Le discours à visée argumentative « cherche toujours à avoir un impact sur son public », selon l’auteur.
[4] Dans le journal officiel n° 27 du 28 avril 2004 et dans l’article n°19 d’un accord international entre l'Algérie et le royaume d'Espagne. Curieusement, et sachant que dans ce genre de traités signés entre deux pays qui ne partagent pas le même code linguistique, le recours à l'Anglais (connu pour être la langue internationale) n'est pas à l'ordre du jour. C'est le français qui est la langue intermédiaire, bien qu'elle ne soit pas présente en Espagne!
[5] Article n° 03, du premier chapitre de la Constitution algérienne du 28 novembre 1996, pour ce qui est de l’officialité de la langue arabe et la loi n° 96-05 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe, pour ce qui est de l’usage modéré du français et généralisé de l’Arabe.
[6] La loi en question est censée régulariser, en la généralisant, l'utilisation de la langue arabe dans les différents secteurs de la vie quotidienne; celle-ci se voit délaissée au profit d'un très apparent retour de la langue française qui bénéficie d'une utilisation large et omniprésente.
[7] « Le français écrit dans l’espace public algérien : un développement paradoxal ».En référence de bas de page, Billiez Jacqueline et Kadi Latifa écrivent : « Bien que le premier effet paradoxal de la promulgation de la loi « portant généralisation de la langue arabe » soit d’avoir été elle même rédigée en « langue étrangère » (pour ne pas la nommer, la langue française) »
[8] Dans le même article, de Billiez et Kadi, il est fait état de taux d’utilisation de la langue française dans le seul secteur des documents officiels (pièces administratives d’état civil, permis de conduire, carte d’identité, etc.).
[9] Cheriguen, F., 1996, « Politique linguistique en Algérie », en ligne.
[10] Ibid.
[11] Classement donné, selon un sondage réalisé par un institut algérien pour le compte de la revue Le Point auprès de 1400 foyers algériens et rapporté par Benmesbah Ali, dans larevue en ligne : Le français dans le monde, Novembre-décembre 2003 - N°330.
[12] Ait Larbi Arezki, article de presse dans LE FIGARO: « l’Algérie et la francophonie », Bouteflika veut réhabiliter le français, Alger, le 27 novembre 2004.
[13] C. Mbodj, « Didactique et aménagement linguistique en Afrique francophone », Université Cheikh Anta Diop de Dakar, en ligne.
[14] Il s’agit de la réforme du système éducatif dont l’élaboration avait été confiée à « la commission Benzaghou » proposaient une réforme du système scolaire afin qu’il prépare enfin l’élève à s’adapter au monde moderne. Dans les grandes lignes, la commission demandait plus de matières d’éveil personnel (art et culture), plus de langues de communication internationales (anglais, français) et une baisse de l’influence de la religion sur les programmes.
[15] Français parlé des Algériens à des Algériens. Il s’agit de locuteurs culturellement enracinés en Algérie et dont les « usages linguistiques et langagiers ne mettent pas en cause l’intégrité du français ». La norme endogène ne correspond pas toujours à la norme scolaire ou à la norme académique qu’est censée transmettre l’école. à Définition transposée sur le cas algérien et inspirée du cas du Sénégal, émanant de C. Mbodj.
[16] Français scolaire normatif ou français acrolectal.
[17] Le français que l’enfant rencontre quotidiennement.
[18] « Elle correspond au comportement linguistique des individus à l’intérieur d’une société, l’individu étant en harmonie avec son pays. ».
[19] La norme construite est « le modèle théorique élaboré par un chercheur tentant de décrire ce qu’il y a de commun aux gens qui communiquent. »
[20] « Mythe flottant, elle peut être considérée comme une abstraction mythique qui préside au comportement linguistique des locuteurs pour constituer le “sentiment linguistique”. s’érigeant implicitement en juges du bien parler et du bien dire en fonction d’une intuition linguistique aussi infaillible qu’un instinct. ».
[21] Dumont (1983), cité par Mbodj, précise, en ce qui concerne le français (au Sénégal), que la norme pédagogique « doit être définie à, partir de la norme réelle, locale, c’est-à-dire de l’observation de la réalité (sénégalaise), une norme dite pédagogique permettant de résoudre les problèmes soulevés par l’utilisation du français au Sénégal dans les écoles de ce pays. »
[22] C. Mbodj, op.cit.
[23] Pour rappel, il s’agit d’une nouvelle réflexion apportée aux États-Unis (J. A. Blair et R. H. Johnson), à travers l’idée-slogan de logique non formelle, qui marque une rupture avec une conception de l’analyse argumentative exclusivement adossée à la logique élémentaire. Se référer à la page 21 du premier chapitre.
[24] Blackburn, P., 1989, Philosophie de l'argumentation, Montréal, Éd. du renouveau pédagogique.
[25] Claude Paris, C. & Bastarache, Y., 1996, Initiation à la pensée critique, Québec, Éditions C.G.
[26] Nous avons préféré parler de thèse-argument parce que nous estimons qu’il s’agit, ici, d’une thèse qui s’argumente par elle-même. En effet, l’apprentissage de la langue française (ou de toute autre langue étrangère) reste d’une utilité – sinon d’une importance – évidente, comme dans tout système éducatif. Il va de soi que l’instrumentalisation de l’apprentissage du français, ici, ne constitue pas une fin en soi, mais elle reste un argument pour affirmer l’importance de l’acquisition des langues étrangères, acquisition qui ne peut se faire qu’à travers un apprentissage bien orienté vers des objectifs clairs et précis.
[27] Programme de français langue étrangère 2 1ère A.S., Mai 1999, M.E.N., D.E.S.G., p. 02.
[28] Ibid.
[29] Ibid., p 03.
[30] Nous avons expressément mis les syntagmes susceptibles de nous aider dans l’analyse, en les faisant ressortir comme arguments, en caractères italiques.
[31] Nous avons voulu mettre en évidence, en caractère gras, les énoncés que nous avons considérés comme argumentatifs. La version originale du texte ne contient pas ces caractères.
[32] Pour le terme topoï, se référer au chapitre I, en page 12.
[33] Expression empruntée à Laurendeau P., citée dans son article Parler de la langue –présentation, p. 144.
[34] Plantin, 1996, cité par Amossy R., op.cit., p. 33.
[35] Zenati, J., mars 2004, « L’Algérie à l’épreuve de ses langues et de ses identités : histoire d’un échec répété », Mots, les langages du politique - Numéro 74, p. 137.
[36] Grandguillaume, G., op.cit.
[37] Texte intégral de la loi n°91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe.
[38] Billiez, J. & Kadi L., op.cit.
[39] Charte Nationale de 1976, Éditions populaires de l’armée, p. 66.
[40] Ibid.
[41] Kadi L., « Appropriation du français dans le système éducatif algérien et comportements langagiers », Université d’Annaba.
[42] Programme de première année de français : les finalités de l’enseignement du français, p. 25.
[43] « Le français dans le monde : Algérie : un système éducatif en mouvement », Novembre-décembre 2003 – N°330.
[44] Baghdad, O.M., avril 1994, « Esquisse d’une méthode d’élaboration des programmes d’enseignement », L’école et la vie.
[45] Bouguerra, T., « Didactique du français langue étrangère dans le secondaire algérien, Orientations, directives et programmes de 1963 », Office des publications universitaires, p. 79.
[46] « Le français dans le monde », op.cit.
[47] Grandguillaume, G., op.cit.
[48] Lakhdar Barka, S.M., Novembre 2002, « Les langues étrangères en Algérie : Enjeux démocratiques ».
[49] Charte Nationale de 1976, titre troisième, P. 66.
[50] Il est fait référence à « langue de culture », et non à « langue du savoir » ou « de la science ». Chose qui nous amène à considérer l’objectif de la maîtrise des langues étrangères, à travers ce texte officiel, comme celui d’atteindre la maîtrise des sciences et des technologies en passant par la connaissance de la culture de l’étranger, de l’Autre, dans toutes les dimensions qui entourent les différents aspects de sa culture, donc de sa personnalité.
[51] Manuel des nouveaux programmes de français pour la 2ème AS technique, p. 06.
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